Salut,
Pfiouu, des tas de choses. Alors:
C. Cottereau a écrit:Eh bien ça Patrice, il faudra que vous m'expliquiez comment Caracotinum, avec vraisemblablement la syllabe /tin/ sous l'accent a pu évoluer en Caucriau- ?
Simplement parce qu'il ne faut pas spéculer sur la place de l'accent en gaulois (cf. Pierre-Yves Lambert, La Langue gauloise). On n'a pas encore réussi à déterminer quelle était la règle concernant l'accentuation du celtique continental, et qu'il est donc difficile de statuer sur un terme pour lequel on ne possède qu'une seule déclinaison. En ce sens, on peut tout aussi bien penser que le "t" de -
otinum ait pu s'amuir (après spirantisation). Ensuite, après l'ajout de -
villa, il n'y a plus qu'une simple métathèse.
Mais tout cela n'est que débat oiseux et spéculation puisque, pour ce cas, nous disposons de formes anciennes: le
Dictionnaire topographique de la Seine-Maritime donne:
Cokeresvilla (sd),
Quoquerelvillam (1217),
Cokerelvilla (1234). Et pour un hameau de la commune de Beaurepaire nommé Caucréauville, on a Coqueréauville en 1817.
De ce fait, il faut simplement envisager ici le surnom puis nom de famille bien attesté un peu partout en Normandie (et sans doute ailleurs): Coquerel.
Ce surnom désigne à l'origine lui-même un lieu: hameau, mais plus souvent moulin, endroit bruyant s'il en est, ce qui fait qu'on a pensé que le lieu pouvait être simplement désigné ainsi parce que "bruyant comme un coq". Sur ce sujet: Dominique Fournier,
Noms de famille de Normandie, 2008, OREP.
Nous ne sommes donc même plus sur un cas de phonétique romane, mais simplement française. Le Cocriamont qui donne son nom à ce fil de discussion se résout sans doute de la même manière. Donc, pas de gaulois, ni de germanique. Du français.
C. Cottereau a écrit:La question des Germains en Belgique fait débat et les peuples qualifiés de "Germanique" par César sont le plus souvent celtiques. En ce qui concerne la Wallonie, les Germains n'y sont pas présents avant la conquête romaine.
César n'est heureusement pas la source unique en onomastique. Et là, à défaut d'avoir des noms de lieux, on a des noms de personnes. Voir à ce sujet les nombreux et importants travaux de Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier. En Belgique et dans les Germanies, le nombre de personnes portant un nom germanique dépasse le stade de la simple minorité ethnique. Au niveau de l'onomastique indigène, cela représente dans certaines cités presque la moitié (le reste étant gaulois).
Cela-dit, même dans César, s'il faut revenir à lui, cela grouille de Germains en Gaule. Je veux dire, installés en Gaule, que ce soit de son fait, ou avant lui.
C. Cottereau a écrit:il est possible de dire que les formations romanes apparaissent toutes plus ou moins en même temps qu'elles soient à valeur topographique ou à valeur immobilière, car parfois on trouve le même nom de propriétaire associé dans deux toponymes contigus :l'un à valeur topographique, l'autre à valeur immobilière.
Et alors? Qu'est-ce qui empêche ce brave propriétaire d'avoir existé à l'époque impériale?
C. Cottereau a écrit:De plus, c'est tout à fait logique, car ils marquent une progression globale du latin vulgaire dans les campagnes qui se répercute évidemment sur l'ensemble des nouveaux qualificatifs toponymiques. Le deuxième siècle, voire le quatrième semblent totalement irréalistes.
Et là c'est un peu le serpent qui se mort la queue puisque ces toponymes apparaissent curieusement au VIe siècle, comme vous l'avez dit. Et comme par hasard c'est à la même époque que les textes qui les mentionnent sont écrits. L'oeuf ou la poule?
C. Cottereau a écrit:En outre, il est invraisemblable de tabler sur une influence germanique sur le latin vulgaire à une époque aussi précoce et on voit bien que la postposition de l'appellatif concerne aussi bien les -camp (-champ), -pré, -mont que les -court, -ville, etc. Or, cet ordre syntaxique s'oppose à celui du latin vulgaire.
Là encore, une mise à jour de bibliographie serait utile, puisque Louis Guinet a tiré tout un ouvrage sur
Les Emprunts gallo-romans au germanique (du Ier à la fin du Ve siècle), 1982, Paris, Klincksieck, un ouvrage certes critiquable (et critiqué), mais dont nombre d'exemples donnés n'ont pas été remis en cause. Ce qui a été critiqué étant plus le fait que Guinet ait cherché trop systématiquement à tirer parti des règles édictées par de la Chaussée concernant la phonétique française.
C. Cottereau a écrit:Bréquigny / Bracquemont (nom de personne germanique Brakko / Brakkinus : 2km entre les deux endroits)
On a là un cas possible de domaine démembré. Et alors? En 706, un certain Jordanès fait don au monastère de Fleury-sur-Andelle d'un domaine nommé Gressus. Sauf qu'on est bien en peine de savoir où est ce domaine puisque l'on trouve dans un même secteur: Gueuteville-les-Grès, Malleville-les-Grès et Greuville. Qui sait si l'un n'a pas été le domaine précis et les autres ses dépendances? Quand on sait qu'à partir du IIe siècle les grands domaines sont dispersés en une multitudes de possession qui peuvent se trouver dans plusieurs provinces et tout cela avec à leur tête un seul et unique propriétaire. Voir le cas célèbre en "Normandie" de Volusianus étudié par Lucien Musset puis Gaston Aubourg.
Je finirais par une citation de Jan de Vries, qui, avant d'étudier les mythologies celtiques et germaniques, était surtout un linguiste:
« Les lois phonétiques sont certainement des directives utiles pour la comparaison de faits linguistiques, mais elles ne donnent que les grandes lignes de l'évolution d'une langue, ce qui n'exclut nullement beaucoup d'exceptions, qu'on ne peut pas expliquer par une logique rigoureuse. Les faits réfractaires abondent notamment dans le domaine religieux ».
Jan de Vries, « La valeur religieuse du mot germanique irmin», Cahiers du Sud, XXXVI, 1952, p. 18-27.
Que dire alors de la simple onomastique?
Cela n'autorise pas bien sûr à faire n'importe quoi, mais invite à ne pas rester prisonnier du carcan des règles.
A+
Patrice