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MessagePosté: Lun 31 Mai, 2004 12:11
de Elanis
Merci pour cette rapide réponse et la référence !

Ton petit texte m'intéresse grandement et ne manquera pas d'en intéresser d'autres sur ce forum :)

J'ai signalé ton article ainsi que d'autres dans un post du 2 sept. :
http://forum.arbre-celtique.com/viewtopic.php?t=1558
mais il est toujours bon de se rafraîchir la mémoire :wink:

à+

MessagePosté: Lun 31 Mai, 2004 18:41
de Sedullos
Salut à tous,
Bienvenue à Adcanaunos qui a écrit :

>"Contrairement à une idée très répandue, il apparaît clairement que la diffusion du vin n'est pas liée à celle du symposion gréco-romain : ses accessoires (simpula, situles, cruches, patères, bassins en bronze, cratères et services à boire en vaisselle campanienne) n'apparaissent, en dehors de la Narbonnaise, qu'à une date très tardive, postérieure à la conquête romaine et plus d'un siècle après l'arrivée des premières amphores vinaires."
Cette affirmation mérite d'être modulée. Je viens de trouver dans l'excellent catalogue L'or de Tolosa, un passage de Béatrice Cauuet sur les mines d'or des Lémovices : on trouve des amphores vinaires à la fin du II et au premier siècles avant J.-C., et aussi des passoires en terre reproduisant des passoires en bronze, datées du V-IV siècle avant J.-C.
Pour le reste, vos messages sont très intéressants, ainsi que les réponses d'Elanis.
Sedullos/Jean-Paul Brethenoux

NB de Guillaume :
Sed, je me suis permis d'éditer ton message pour remplacer les ’ par des ', problème de copié/collé sans doute...

MessagePosté: Lun 31 Mai, 2004 19:29
de Sedullos
Guillaume, merci pour les corrections.
Je viens de "percuter" : je souhaite la bienvenue maintenant à Adcanaunos qui intervient depuis au moins quatre mois sur le forum : )
Je viens juste de découvrir son identité : nul doute qu'il en sait plus que moi sur les amphores... :)

Sedullos alias l'âne de Briga-Ialon :)

D'Ajax à Luern

MessagePosté: Lun 31 Mai, 2004 19:57
de Adcanaunos
:!:

Des amphores oui... et par centaines de milliers. Elles sont présentes, dès le début du IIe s. av. J.-C., non seulement dans le Limousin (850 unités à 20 litres chacune, pour le seul site de la "Croix du Buis" à Arnac-la-Poste) ; mais aussi, dans tous les territoires de la Chevelue, jusqu'en Belgique et Outre-Rhin !
L'attirail du banquet méridional, en revanche, demeure totalement absent des sépultures : le produit, mais pas le service et les rituels qui accompagnent sa consommation au sud des Alpes ! Le goût de l'exotisme, mais pas l'idéologie égalitariste, urbaine, subversive, véhiculée par le symposium.

Cf. la fameuse description des festins gaulois par Poseidonios d'Apamée (cité par Athénée, Deipnosophistes IV 37-40) au Ier s. av. J.-C. : guerriers en armes réunis en cercle, se partageant âprement des viandes diverses issues du sacrifice, cuites dans de grands chaudrons, grils, buvant à la même coupe vin importé, mais aussi, bière et hydromel... Rien de méridional, dans tout cela, en dehors du vin, précisément.

Ces scènes sont infiniment plus proches de la "daïs" homérique que des "surprise-party" prisées, à la même époque, à Rome en Grèce ou en Orient.
Ce que souligne d'ailleurs Diodore (V, 28), en commentaire de cette même description :
"Pendant leurs repas, ils sont tous assis, non sur des chaises, mais à terre, et à cet effet ils ont, en guise de tapis, des peaux de loups ou de chiens. Ils sont servis par de tout jeunes enfants, garçons et filles. Tout auprès sont établis des foyers où le feu abonde et qui sont garnis de chaudières et de broches chargées de viande en énormes quartiers. Les braves reçoivent – c'est leur privilège – les plus beaux morceaux de ces viandes : c'est ainsi que le poète met en scène Ajax honoré par les chefs [de l'armée], après qu'il eut seul à seul combattu et vaincu Hector : ‘Ajax reçut le dos entier [de la victime] à titre d'honneur.’"
CQFD !

L'archéologie conforte pleinement cette image : tombes gauloises garnies de chaudrons, de landiers, de grils et d'amphores à vin, mais sans la vaisselle de luxe liée au symposium.
Jusqu'aux fameuses "cuves" de vin décrites par Posidonios, offertes aux populations lors de grands banquets par le démagogue arverne Luern : des dispositifs similaires ont été mis au jour sur le sanctuaire de Corent, dans le Puy-de-Dôme, dans un enclos principalement dédié à la pratique du banquet : http://luern.free.fr.

Quant aux passoires : selon les dernières études consacrées par A.-M. Adam aux "filtres" celtiques ou étrusques en bronze et en céramique, il semble qu'elles ne sont pas liées au service du vin, mais plutôt au fitrage des boissons indigènes, ou d'autres décoctions...

Merci pour vos réactions amicales,


@ +

MessagePosté: Lun 31 Mai, 2004 23:34
de Sedullos
Merci pour votre longue réponse.

Le goût de l'exotisme, mais pas l'idéologie égalitariste, urbaine, subversive, véhiculée par le symposium.



Cette idéologie égalitariste chez les Grecs trouve-t-elle son expression dans le domaine militaire dans la phalange comme semblait le penser Pierre Vidal-Naquet et ne peut-on envisager que les Celtes, qui ont à une certaine époque transposé et adapté cette formation de combat, avec un certain retard" ou un décalage, auraient pu aussi commencer à intégrer certains éléments de cette idéologie.
L'urbanisation sous la forme des oppida et la disparition progressive de la royauté au profit d'un ou de plusieurs magistrats de type vergobret me semblent participer de cet éloignement par rapport à une idéologie plus ancienne, héroïque ou homérique. Pour user d'un raccourci, la conquête romaine aurait fait avorter cette évolution à la grecque.

@+
sedullos

MessagePosté: Jeu 03 Juin, 2004 20:07
de Muskull
Bonsoir :)

Je me mêle au débat pour une pensée peut être saugrenue.

Cette coupe unique qui circulait lors des festins n'est-elle pas le souvenir d'un rite beaucoup plus ancien ?

Je m'explique : Au néolithique nous savons par les mythes que le sacrifice du taureau (sans doute annuel) était un rite de fécondité. Le sang était recueilli dans un vaisseau et partagé rituellement entre les assistants.
Maintenant l'on se contente des oreilles et de la queue. :D
Certains expliquent l'interdiction du sang (consommation) dans les religions du Livre par réaction contre ces pratiques que l'on retrouve pourtant dans la symbolique de la Cène (et ailleurs)...

Un taureau est couché au fond du chaudron de Gudenstrup...
Nous savons que les taureaux sacrifiés dans les "enceintes celtiques" n'étaient pas consommés mais laissés à la décomposition ; mais qu'en était-il de leur sang ?
Le mythe des essaims d'abeille nés de taureaux en décomposition est aussi intéressant dans ce contexte...

Et, mais là j'abuse, le succès du vin chez les gaulois n'est-il pas parce qu'il avait la même couleur que le sang ?

Un peu en vrac tout ça mais l'intention est bonne :wink:

[i]In sanguine veritas[/i]

MessagePosté: Jeu 03 Juin, 2004 23:28
de Adcanaunos
Le vin et le sang, vaste sujet...

Quelques pistes :

Métaphore sanguine étroitement liée aux notions d’immortalité et de sacrifice, le vin possède des propriétés charismatiques auxquelles ont fait appel la plupart des religions qui jalonnent l'histoire de l’Humanité (des libations gréco-romaines à la Cène chrétienne) : "sang de la terre", il est l'équivalent végétal du sang sacrificiel.

Les Celtes ne sont évidemment pas en reste, par rapport à leurs "cousins" indo-européens.

Qu’il soit rouge ou ambré, sa couleur le rendait plus adapté que les boissons indigènes à l’exercice de rites séculaires reposant largement sur une idéologie du sang, garante du lien vital : serments d’alliance, rites d’appropriation des âmes amies ou ennemies, rites de libations se substituant aux sacrifices sanguins, étaient connus des Celtes bien avant l’arrivée du vin. Son terrain d’introduction était balisé, de longue date, par des rites millénaires faisant appel aux boissons fermentées indigènes : leur forte connotation symbolique était déjà exploitée depuis des millénaires dans le cadre des cérémonies en l’honneur des divinités, des défunts ou des puissants (présence de céramiques à boire sur certains sites mégalithiques insulaires), qui ne pouvaient se satisfaire que du meilleur : boisson des dieux et des puissants, l’hydromel a longtemps tenu la première place au festin.

De par sa couleur, son taux de sucre et d’alcool similaires, rehaussés par son exotisme, sa saveur originale et ses qualités de conservation, le vin s'est rapidement hissé au sommet de cette hiérarchie de valeurs. Le transfert fut facilité par la morphologie particulière de son emballage, l’amphore : récipient de taille humaine, son aspect anthropoïde, son statut de corps étranger, en faisait l’instrument naturel d’une nouvelle liturgie, propre à impressionner les foules : substitut sacrificiel, l’amphore est l’incarnation métaphorique, spectaculaire et visible, du couple vin-sang qui jaillit des corps fracassés.

Ces pratiques n'ont rien d'imaginaire : elles sont clairement attestées par l'archéologie. En témoigne la découverte, sur de nombreux sanctuaires gaulois de la fin de l'âge du Fer, milliers de tessons d'amphores à vin mêlés aux restes sacrificiels : cols d'amphores "sabrées" à coups d'épée, soigneusement prélevés et regroupés par dizaines, aux mêmes emplacements que les crânes (animaux et/ou humains), puits et fosses à libations, destinés aux offrandes de vin...

Cette liturgie originale du « sacrifice de l’amphore », sans équivalent connu dans le monde méditerranéen, témoigne d’une interprétation toute indigène du vin et de ses rituels. Intégré, après une phase d’expérimentation, au cadre liturgique existant, il semble que le vin ait été consommé à la manière des boisons fermentées locales.

Un « super-hydromel », en somme, qui devint rapidement incontournable à la table des élites...

Et Dionysos, dans tout cela ?

La réponse, si j'ose dire, coule de source...

MessagePosté: Sam 05 Juin, 2004 9:21
de Tectosage
Adcanaunos a écrit:Le vin et le sang, vaste sujet...
............................
Un « super-hydromel », en somme, qui devint rapidement incontournable à la table des élites...

Et Dionysos, dans tout cela ?

La réponse, si j'ose dire, coule de source...


Bonjour Adcanaunos,

Belle démonstration, convaincante pour dépister le Dionysos vineux !
Ce que je comprends à travers notamment ces discussions, c'est que le Dionysos Bacchus, donc gréco-romain, avec ses attributs attachés à l'ivresse par le vin, suit très précisément la vigne. Logique !

Mais Dionysos, vous le savez, est beaucoup plus que cela. Les synthèses rapportées ici page 3 par Ejds et Freyja exposent bien le concept qui est au demeurant bien documenté dans la littérature et enseigné dans les universités. L'ivresse qui provoque le délire mystique est obtenue certes par le vin chez les Grecs et Romains, chez les Indo-Iranien ce serait si j'en crois M. Eliade, ce serait d'abord l'hydromel puis la plante "Soma" attachée au dieu du même nom. Ainsi chez les Celtes qu'en est-il ? On peut penser à l'ivresse royale rapportée ici par Fergus .B. pour supposer que l'ivresse dans une forme particulière est aussi utilisée pour obtenir un état de "métaconscience".

Par ailleurs le délire mystique est obtenu par bien d'autres procédés que l'ivresse qui ne serait qu'un des "outils". Chez les femmes Namnètes il n'est point besoin d'alcool. Il faut sans doute également regarder audelà du délire mystique pour rechercher ce qu'apporte ce délire avec les transgressions des us et coutumes. Il s'agirait de l'ouverture vers la création, génération des arts et évolutions des sociétés.



Cordialement

MessagePosté: Sam 05 Juin, 2004 11:13
de Adcanaunos
Merci pour ces précisions. Ramener le concept "d'ivresse mystique" à l'analyse de quelques tessons est évidemment réducteur : il renvoie à un ensemble de pratiques plus vaste et plus ancien, où l'alcool n'occupe qu'une place limitée. L'étude des textes et le comparatisme permettent d'aller beaucoup plus loin.
Là s'arrête le champ d'investigation de l'archéologue. Les manifestations matérielles de l'ivresse celtique, qui n'a qu'un lointain rapport avec l'extase dionysiaque, ont été rassemblées dans un corpus de références qui s'étend du Midi à la Bretagne : amphores et vaisselles de banquet en contexte de tombes, de sanctuaires et de dépôts votifs, dont l'étude permet une approche objective et analytique, qui laisse encore une large place à l'imagination. Le reste est affaire des exégètes et historiens des religions.
A vous de jouer !
:wink:

MessagePosté: Sam 05 Juin, 2004 14:20
de Muskull
Bonjour :)

Avant de développer le sujet de l'ivresse mystique, je pense qu'il serait bon de revenir sur l'idée même du sacrifice...
En ce qui concerne les celtes nous trouvons (au moins) deux formes attestées par l'archéologie de sacrifices sanglants :
Le sacrifice-don (le taureau) et le sacrifice-communion (surtout des ovins).

Extraits d'un article de Roger Bastide dans l'E.U.

" Les théories sur l’origine et l’évolution du sacrifice.
E. B. Tylor voit dans le sacrifice un don intéressé aux esprits: do ut des. Lorsque la croyance aux dieux succéda à celle des esprits, le don intéressé fit place à l’hommage sans espoir de retour. Plus tard enfin, au lieu de choses matérielles, on fit offrande à Dieu de ses sentiments: le sacrifice devint renoncement. Certes, dans le sacrifice, on donne et en même temps on reçoit, remarque G. Van der Leeuw, mais la formule do ut des ne fournit de cet échange de prestations qu’une caricature rationaliste. De plus, le sacrifice est toujours plus qu’un échange, car l’objet offert est détruit; et c’est cette destruction, ou immolation, qui apparaît essentielle."

" Avec W. R. Smith, on passe de l’antériorité du sacrifice-don à celle du sacrifice-communion. Le sacrifice primitif ne peut pas être un don, parce que le don suppose le sentiment de propriété et celui d’obligation envers les dieux, deux sentiments qui ne pouvaient exister, selon Smith, chez nos ancêtres nomades, car ils supposent la fixation au sol et l’avènement d’un sentiment religieux débarrassé de toute magie.
D’un autre côté, pour que le sacrifice pût devenir un don, il fallait que l’objet sacrifié n’eût pas un caractère religieux, que la victime animale fût seulement un animal, ce qui suppose une époque où les idées de tabou et de sacré avaient déjà perdu leur force.
Le sacrifice n’est donc pas une offrande pieuse. C’est un repas. Les dieux hébraïques comme les dieux d’Homère se repaissent de la fumée des viandes; les divinités souterraines boivent les libations qui s’enfoncent sous le sol. Mais, à côté de ces sacrifices où tout semble dévoré par les dieux, il y en a d’autres où ceux-ci ne mangent qu’une partie de la victime, le reste étant dévoré par les hommes. Ainsi se fondait la communion entre la divinité et les fidèles. "

" Certes, l’homme mange souvent une partie du sacrifice; cependant, remarque Oldenberg, il ne le fait pas nécessairement pour communier avec le dieu, mais parce que, le sacré étant passé dans la victime immolée, le sacrifiant s’incorpore un peu de la vertu mystique qui est en elle. Le sacrifice expiatoire peut difficilement s’expliquer à partir de la communion alimentaire: si l’on a fait passer les maux et les péchés de la communauté sur un animal avant de le tuer, comment le mangerait-on? Il communiquerait aux fidèles son impureté.

Plus récemment, Lévi-Strauss a montré que le sacrifice ne peut en aucune façon se comprendre à partir du totémisme, car le totémisme établit une liaison entre une espèce animale et un clan, alors que dans le sacrifice on peut substituer une chose à une autre, par exemple un fruit à un animal; le totémisme est fondé sur la discontinuité entre le sacré et le profane par l’intermédiaire de la victime, «le but du sacrifice étant précisément d’instaurer un rapport, qui n’est pas de ressemblance (comme dans le totémisme), mais de contiguïté». "

" Pour J. Frazer, les dieux primitifs étaient mortels comme les hommes; les Grecs montraient les tombeaux de Zeus et de Dionysos. Or le cours de la nature est suspendu à l’existence de ces hommes-dieux; leur décrépitude est le signe de la mort pour la végétation et pour les bêtes. Comme la vieillesse est inévitable, il n’y a qu’un moyen pour détourner le péril: le déicide, et le transfert des forces divines dans un corps plus jeune.
Les Mexicains choisissaient un de leurs captifs, l’adoraient comme un dieu pendant six mois, puis le tuaient, l’écorchaient, revêtaient de sa peau un nouveau captif, lequel représentait dès lors le nouveau dieu. En même temps, le dieu sacrifié emportait avec lui les maladies, les péchés, jouant le rôle de bouc émissaire.
Les cultes d’Attis, d’Osiris, de Déméter, avec leurs mythes de mort et de résurrection, prouvent l’antiquité de ce type de sacrifice dans le bassin européen lui-même. "

@ suivre...

Sacrifice

MessagePosté: Sam 05 Juin, 2004 14:37
de Adcanaunos
De grands animaux (boeufs, chevaux) offerts en don aux divinités, laissés à pourrir dans des fossés ; de plus petits (moutons et porcs, essentiellement), consommés par les participants au culte : voilà, très précisément, l'image à laquelle nous convie l'étrude de la faune retrouvée sur les sanctuaires celtiques de la fin de l'Indépendance (notamment, à Gournay-sur-Aronde, Ribemont-sur-Ancre et Corent).
L'opposition sacrifice bovin versus sacrifice ovin m'intéresse particulièrement, je ne la retrouve pas dans le texte cité (captivant, au demeurant) : en connais-tu la source, textuelle ou archéologique ? L'abréviation "E.U." ne me dit rien...
@ +

MessagePosté: Sam 05 Juin, 2004 17:01
de Muskull
E.U. pour Encyclopedia Universalis, un bon outil...

Oui, oui, taureaux et chevaux, moutons et porcs. Le moins que l'on puisse dire c'est que les gaulois étaient pragmatiques ; de vieux animaux pour les dieux souterrains et des jeunes et tendres pour eux même. :lol:

Je n'ai rien lu au sujet de cette opposition dans les formes de sacrifice, c'est une déduction personnelle. :?

Par contre je ne pense pas que le sacrifice des grands animaux étaient du domaine du "bouc émissaire". En effet, cette forme de sacrifice appartient surtout aux civilisations urbaines qui ont aussi développé le concept de culpabilité vis à vis du divin, il devait simplement être propitiatoire et non un substitut d'un sacrifice humain qui existait aussi.
Les dionysies et l'orphisme étaient des rituels péri urbains où l'on se rachetait de la "faute" de la séparation d'avec les forces naturelles et je ne pense pas que les gaulois de l'époque, non citadins, pouvaient développer un système religieux de ce genre.
L'on se retrouve en quelque sorte dans un système pré-homérique.

Par contre, ce qui ressort de mon analyse c'est que les gaulois ne partageaient pas la nourriture des dieux "d'en bas" alors qu'ils communiaient avec les dieux (ou le dieu de la tribu) lumineux.

Il y a aussi une forme d'humour dans le fait de sacrifier des animaux devenus inutiles aux esprits souterrains, comme si l'on se moquait d'eux. Un peu comme dans beaucoup de contes du domaine celtique récent où l'on "roule" le diable. :D

" Dans le dionysisme, le modèle est l’omophagie: manger crues les chairs d’une victime animale capturée et déchiquetée au terme d’une poursuite sauvage. On sort ainsi du système qui fonde la condition humaine dans un double rapport: avec les dieux et avec les animaux.
Dionysos entraîne ses fidèles dans une nature extérieure à la cité, où les bêtes, les hommes et les dieux se confondent, et sont interchangeables. Les Bacchantes se conduisent comme des bêtes féroces, et Agavé rapporte la tête de son fils traqué par la meute des femmes dont elle dirige la course. L’omophagie entraîne à se comporter comme Dionysos, «mangeur de chair crue»: l’homme est tour à tour bête et dieu.
À l’extrême, Dionysos contraint à l’anthropophagie. On bascule dans un temps antérieur à la société, où les hommes se mangent entre eux, comme font les bêtes sauvages. Mais en brouillant les frontières, Dionysos montre le caractère interchangeable des extrêmes établis par la pensée politico-religieuse: le plan de la bestialité se confond avec l’âge d’or.
Le dieu mangeur de chair humaine naît dans la terre parfumée des aromates, et le miel coule avec le lait de la terre que foulent de leurs pieds les Ménades. Dionysos, enfant et souverain d’un monde avant la différence, trouve dans l’orphisme une place majeure qui oriente toute une part de sa définition mystique.
Victime malheureuse des Titans qui le mettent à mort, le font bouillir et rôtir comme un vulgaire animal de sacrifice, Dionysos renaît pour inaugurer le règne de l’Unité, antérieur au temps de la différence dont le sacrifice alimentaire et sanglant de la religion officielle est la marque et la consécration. La sixième génération se referme sur la première, et Dionysos, dieu enfant, se confond avec Prôtogonos , le Premier-Né, appelé aussi Phanês , celui dont la puissance, englobant le multiple et l’un, efface le partage traumatisant entre les dieux et les hommes. "
Marcel Detienne, E.U. :wink:

Au vin sans eau

MessagePosté: Dim 06 Juin, 2004 2:31
de ejds
Des louanges comme s’il en neigeait 8)
Qu’il serait bien triste au coin de la rue, ce débit de boissons à l’enseigne : Au vin sans eau (“O 20 100 O”), où un nouveau mais léthargique tenancier, pâle comme la mort, ne servirait que de l’eau sans vin et à son menu qu’une inquiétante soupe aux nouilles de chiffres et de lettres en capitales romaines : - Vous prendrez bien une louche de ma soupe du jour pour me faire plaisir. J’comprends pas, personne n’en veut?
- QUOI! COMMENT? S’ont l’air imbuvables mes belles lettres ?!!!…


De la connaissance et aux messages qu’on essaie de partager, à la reconnaissance qu’on essaie parfois de recevoir, la route peut être longue et malaisée, merci beaucoup Adcanaunos de nous le rappeler. Chacun d’entre nous, à commencer par les concepteurs du forum qui œuvrent dans l’ombre et veillent dans le silence et surtout à tous ceux qui interviennent. Qui, du message le plus futile et anodin, permet à d’autres de s’en emparer et de le retravailler chacun à sa manière, de faire étalage de son savoir et de s’exprimer à son rythme, apportant à la fois un ressenti en vibrato à travers l’écran des émotions, des humeurs, des impressions parfois maladroites, des tâtonnements impulsifs mais aussi beaucoup de rêves, de doutes et d’espérances.

Sûr que cela fait toujours plaisir d’avoir son nom en haut de l’affiche ou dans un magazine, un film, un livre…, on peut aussi en prendre l’habitude. Mais, ce qui fait le charme de notre époque est que chacun (à condition de pouvoir se servir d’un ordinateur), est à même de s’exprimer et de véhiculer ses idées en dilettante via un forum, beaucoup plus rapidement que ne le ferait un support papier. De citer http://www.arbre-celtique.com/forum, tout simplement, nous sera à tous une œuvre de reconnaissance. On se reconnaîtra.
On te souhaite en tout cas bonne chance à toi, Adcanaunos, ainsi qu’à l’équipe Bardos de notre muse Elanis : http://www.bardos.tm.fr/ , dans vos projets.

e.

Du miel et du ciel

MessagePosté: Dim 06 Juin, 2004 3:05
de ejds
Du miel et du ciel
Pour en revenir à Dionysos, Denys ou Denis, il est bon de rappeler, même si c’est sans intérêt, que les habitants qui habitent les lieux-dits, tel St Denis dans le 93, s’appellent à juste titre les Dionysiens, ça alors… :lol: :lol:

Pas si dément tout de même, car sous couvert d’offrir l’amertume du fiel, ce taquin de Dionysos qui, avec son art consommé et incisif de rendre comique ce qui est tragique, ridicule ce qui est important, passait pour avoir fait don du miel, symbole qui adoucit les mœurs et rapproche les hommes vers le ciel.
Aussi l’endroit et le moment propice de prendre pour exemple et effectuer les louanges de ce bon prince dont toute la press people celtic s’en est fait l’écho. La fête récente, à laquelle fut convié quelque 2000 convives, libres à eux de déambuler comme bon leur semble en état d’ébriété et même de dire quelques grossièretés, donnée par ce prodigue Luernos et sa fière équipe: http://www.aremorica.com/?p=calendrier&&ssp=pleu

Ce Luernos/Lugernos (?) qu’on pourrait très facilement identifier, même déguisé en porte-lance :lol: , par quelques menus détails à Dionysos/Cernunnos, et l’élever au rang de grand roi solaire des Armoriques. Les lauriers ne lui suffisant pas, alors d’un petit couplet chanté nous lui tresserons bien un poème : résonnez donc tambours, sonnez carnyx et buccins…

Cette fête, de ce fait, n’est pas sans rappeler celle que nous retrouverons traits pour traits dans les écrits de Posidonios d’Apamée qui vécu vers 135-50 av JC et tels qu’ils ont été traduits par EDM Cougny : Extraits des auteurs grecs concernant l’histoire et la géographie des Gaules, tome 1, Editions Errance, 1986 (Une œuvre de référence fondamentale pour tous ceux qui s’intéresse à la Gaule. Les textes des auteurs grecs décrivant la Gaule et les Gaulois ont été rassemblés et traduits par un des meilleurs hellénistes du XIXè siècle. Devenu introuvable, cet ouvrage est une mine d’informations sur les Celtes, nous dit le synopsis).
Et auxquels je m’empresse d'ores et déjà de la vitesse de tous mes petits doigts réunis de vous en livrer, mot pour mot, quelques passages des plus connus : CHAUD DEVANT!
Nous allons le voir, les Celtes d’alors avaient du savoir-vivre, de l’appétit et savaient déjà se tenir à table. Et que les flatteurs (gens d’arts et des spectacles de l’époque) savaient vivre déjà fort habilement et bien largement au dépend de ceux qui les paient :

HISTOIRES. LIVRE XXIII. Les Celtes emmènent avec eux, même à la guerre, de ses commensaux qu’on appelle parasites. Ces parasites célèbrent les louanges de leurs patrons et devant des assemblées nombreuses et même devant quiconque veut bien en particulier leur prêter l’oreille. Ces personnages qui se font entendre ainsi sont ceux qu’on appelle Bardes; ce sont aussi les poètes qui dans leurs chants prononcent ces éloges.
…Voici les repas des Celtes: on étend du foin, et sur des tables de bois peu élevées au-dessus du sol. Pour nourriture, des pains en petit nombre et beaucoup de viandes [cuites] dans l’eau, rôties sur des charbons ou à la broche. Ces mets, on les porte à la bouche proprement, mais à la manière des lions, en prenant à deux mains des membres entiers et en mordant à même. Si un morceau est difficile à déchirer ainsi, on en enlève des tranches avec un couteau-poignard placé dans une gaine spéciale adhérente au fourreau [du sabre]. On mange aussi du poisson chez les riverains des fleuves et des deux mers, intérieure et extérieure, et ce poisson est grillé avec sel, poivre et cumin. On met aussi du cumin dans la boisson. L’huile n’est pas en usage; elle est rare, et, faute d’habitude, on la trouve désagréable.
Quand les convives sont nombreux, ils s’asseyent en cercle, et la place du milieu est au plus grand personnage, qui est comme le coryphée du chœur : c’est celui qui se distingue entre tous par son habileté à la guerre, par sa naissance ou par ses richesses. Près de lui s’assied celui qui reçoit, et, successivement de chaque côté, tous les autres, selon leur rang plus ou moins élevé. Les servants d’armes, – ceux qui portent les boucliers, – se tiennent derrière, et en face les doryphores* ou porte-lance, assis en cercle comme les maîtres, mangent en même temps.
Ceux qui servent font circuler la boisson dans des vases qui ressemblent à nos ambiques* et sont de terre ou d’argent : les plats sur lesquels se placent les mets sont du même genre; quelques-uns en ont en cuivre; chez d’autres, ce sont des corbeilles en bois ou en osier tressé. Ce qu’on boit chez les riches, c’est du vin apporté d’Italie ou du pays des Massaliètes, et on le boit pur; quelquefois pourtant on y mêle un peu d’eau; chez ceux qui sont un peu moins à l’aise, c’est de la bière de froment préparée avec du miel; chez le peuple, c’est de la bière toute simple, on l’appelle corma. Ils avalent petit à petit, à la même coupe, et pas plus d’un cyathe*, mais ils y reviennent souvent. L’esclave fait circuler de droite à gauche : c’est ainsi que se fait le service, et pour adorer les dieux on se tourne aussi à droite*.

Posidônios dit que] ce prince (Luernios, père de Bityite), pour gagner la faveur de la multitude, passant en char à travers les campagnes, jetait de l’or et de l’argent aux myriades de Celtes qui le suivaient. Il faisait parfois enclore un espace de douze stades carrés, avec des cuves remplies de boissons d’un grand prix, et une telle quantité de victuailles que, plusieurs jours durant, chacun pouvait librement entrer dans l’enceinte et user des mets qui y étaient préparés et qu’on servait à tout venant sans interruption.
Une fois que ce même prince avait donné un grand festin à un jour fixé d’avance, un poète de chez ces barbares était arrivé trop tard. Il alla au-devant de Luernios avec un chant où il célébrait sa grandeur; mais en gémissant du retard dont il portait la peine. Le prince amusé par ces vers, demanda une bourse d’or et la jeta au barde courant à coté [de son char]; lequel la ramassa et fit entendre un nouveau chant disant que les traces laissées sur la terre par le char du prince étaient des sillons qui portaient pour les hommes de l’or et des bienfaits.

* - Doryphore: :lol: :lol:
* - Ambique: espèce d’amphore.
* - 1 cyathe = lit. 0,45.
* - Pline, XXVIII, v, 2, dit le contraire : In adorando dexteram ad osculum referimus, totumque corpus circum agimus; quod in laevum fecisse Galli religosius credunt. :shock: (voir fil sur Ouessant: une Isle Ancienne).

ejds

MessagePosté: Dim 06 Juin, 2004 22:19
de Patrice
Les dionysies et l'orphisme étaient des rituels péri urbains où l'on se rachetait de la "faute" de la séparation d'avec les forces naturelles et je ne pense pas que les gaulois de l'époque, non citadins, pouvaient développer un système religieux de ce genre.


Voilà qui, à mon avis, est archi-faux et très péremptoire. Evidemment, pour les Celtes de l'indépendance, il est difficile de savoir si il existait une doctrine similaires à celles de l'Orphisme ou du culte dionysiaque. Pourtant de nombreux éléments invitent à le penser.

Quand j'ai publié mon article sur "l'âme celte", j'ai essayé de rassembler des textes pour le démontrer (pour mémoire: Patrice Lajoye, "Les navigations et l'âme celte dans l'Antiquité", Ollodagos, t. XVIII, 2003, p. 3-39: certains de ceux qui sont venus à Caen ont pu l'avoir).
En voici des extraits:
Le coup des femmes des Namnètes (ou Samnites ou Amnites) est cité par Denys le Périégète, Description de la terre habitée, 570; Posidonios in Strabon, Géographie, IV, 4, 6. Ces deux textes sont eux-mêmes largement copiés et paraphrasés par des auteurs de l'Antiquité tardive et byzantins.
Les termes qu'ils emploient sont: "rite des fêtes de Bacchos"; "possédées de Dionysos"; "Evan"; "Evohé" (cris typiques du culte de Dionysos.
Le même Strabon rapporte d'après Artémidore qu'il y a près des îles Britaniques une île où l'on sacrifie à Déméter et Corè: ce sont les principales divinités du culte éleusinien, lequel est très lié à l'orphisme. Il les compare aux rites de Samothrace: même remarque, il s'agit aussi d'un culte à mystère.
L'île de Déméter et Corè se retrouve dans les Argonautiques orphiques, 1178-1206, au large d'Ierné: l'Irlande. Les hommes n'ont pas le droit d'y aborder.
Quand Plutarque parle de l'île de Cronos, au large de la Bretagne, il dit au sujet de son informateur: "les mystères auxquels il fut initié" (De la face qu'on voit sur la Lune). Il enchaîne sur une description de l'âme et de son devenir, qu'il tient de ce même informateur (un Breton), qui est similaire à celle qu'on retrouve dans Platon et les théorie pythagoriciennes, lesquelles sont largement imprégnées d'orphisme!

Bref, tout cela est gorgé de référence aux mystères, à l'orphisme et au culte dionysiaque, autant de choses intimement liées en Grèce. et les auteurs, tous grecs d'ailleurs, que j'ai cité, on du décrire quelque "culte" ou "rite" celte sans doute un peu différent, en des termes qui leur étaient proches.

A+

Patrice