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MessagePosté: Mar 10 Fév, 2004 19:09
de Muskull
Bonsoir :)

Si, si, je l'avais lu mais l'on ne peut se permettre d'extraire quelques phrases d'un texte philosophique comme l'on peut le faire de celui d'un historien.
J'ai cherché mon Phédon mais ne l'ai pas encore retrouvé dans mon bazar. Je pourrais en dire plus quand je l'aurais retrouvé.
C'est hors sujet mais les philosophes orientaux qui ont poursuivit la "voie" platonicienne ont gardé jusqu'au 10° siècle cette particularité de placer leur dit entre deux extrèmes pour faire apparaître leur sens par allusions dans "l'intermédiaire".
Voir par exemple toute la filiation improprement dite "néoplatonicienne" depuis Avicenne jusqu'à Rumi...

MessagePosté: Mar 10 Fév, 2004 21:18
de Tectosage
Bonsoir,
En regardant une sculpture représentant Sucellos avec son marteau dans une main et une coupe dans l'autre, je pense à une phrase de Marcel DETIENNE :
"Dionysos règne entre mort et vie"
Et ailleurs (à retrouver) le marteau de Sucellos est indiqué comme donnant la mort d'un côté et la vie de l'autre.
D'où un tentation d'associer ces deux spécificités. Quant à la coupe, c'est plus facile, sans commentaire. Bon...
En Celtie faut-il rechercher une identification des rituels bachiques à un individu ? Oui ! La question est légitime. Les manifestations bachiques de Sucellos et de Cernunos et d'autres peut-être me passionneraient mais cela dépasse mes connaissances.

Elanis écrit :<Dionysos est un maître du Passage (passage des réalités multiples au Réel Absolu)>
Ma lecture me donne la compréhension inverse, je dirais : (passage du réel absolu aux infinités des possibles). C'est bien là la force du mythe, d'être toujours réinterprété pour ouvrir le champ des connaissances..
mais ce n'est peut-être pas contradictoire...

Cordialement

MessagePosté: Mar 10 Fév, 2004 22:18
de Patrice
Salut Muskull,

Tu m'obliges à sortir l'artillerie lourde, alors voilà:

Plutarque, De la face qu'on voit sur la Lune, traduction de Ricard, modernisée et corrigée à partir du texte de la Loeb Classical Library:

" Je parlais encore quand Sylla m'arrêtant: “ C'en est assez, Lamprias, me dit-il, il est temps que vous finissiez, si vous ne voulez pas que mon récit échoue, pour ainsi dire, au port, et que l'ordre de la scène soit confondu; c'est le moment de la faire changer de décoration. C'est moi qui doit être l'acteur; je vous en ferai d'abord connaître l'auteur; et, si vous le trouvez bon, je vous dirai avec Homère:
Loin de nous, dans la mer, est l'île d'Ogygie ,
distante de la Grande-Bretagne, du côté de l'occident, de cinq journées de navigation. Il y a trois autres îles situées vers le couchant d'été, aussi éloignées de la première qu'elles le sont les unes des autres. C'est dans une de ces îles que, suivant la tradition des Barbares du pays, Cronos est détenu prisonnier par ordre de Zeus, et l'antique [Briarée] ayant reçu la garde, tant des îles que de la mer adjacente qu'on appelle Cronienne, s'était établi non loin de lui. Ils ajoutent que le grand continent qui environne l'Océan est éloigné de l'île d'Ogygie d'environ cinq mille stades, et un peu moins des autres îles; qu'on n'y navigue que sur des vaisseaux à rames , parce que la navigation est lente et difficile à cause de la grande quantité de vase qu'y apportent plusieurs rivières qui s'y déchargent du continent et y font des atterrissements qui embarrassent le fond de la mer; ce qui a fait croire anciennement qu'elle était glacée. Les côtes du continent, disent-ils encore, sont habitées par des Grecs, qui s'étendent le long d'un golfe non moins grand que les Palus Méotides, et dont l'embouchure répond précisément à celle de la mer Caspienne. Ils se regardent comme habitants de la terre ferme, et nous comme des insulaires, parce que la terre que nous habitons est entourée par la mer. Les compagnons d'Héraclès, qui furent laissés dans cette contrée, s'étant mêlé avec l'ancien peuple de Cronos, tirèrent de son obscurité la nation grecque, qui était presque étouffée sous les lois, les mœurs et la langue des Barbares, et ils lui rendirent son ancienne splendeur. Aussi depuis cette époque, Héraclès est de tous les dieux celui qu'ils honorent davantage, et après lui Cronos. Quand l'étoile de Cronos, que nous appelons Phénon, et qui, dans cette île, porte le nom de Nycture , entre dans le signe du Taureau, ce qui arrive après une révolution de trente années, ils se préparent longtemps d'avance à un sacrifice solennel et à une longue navigation, que sont obligés d'entreprendre sur des vaisseaux à rames ceux que le sort a destinés à cette commission, qui exige d'eux un long séjour dans une terre étrangère. Après donc qu'ils se sont embarqués, et qu'ils ont éprouvé chacun des aventures diverses, ceux qui ont échappé aux dangers de la mer abordent dans les îles opposées qu'habitent des Grecs, où ils voient pendant trente jours le soleil se coucher pendant à peine une heure par jour; c'est là toute leur nuit, et les ténèbres même en sont bien peu obscures, et assez semblables au crépuscule. Après y avoir demeuré quatre-vingt dix jours singulièrement honorés et bien traités par les naturels du pays, qui les regardent comme des personnes sacrées et leur en donnent le titre, ils s'abandonnent aux vents et retournent dans leur île. Ils en sont les seuls habitants, eux et ceux qui les y ont précédés. Quand ils ont servi pendant trente ans au culte de Cronos, ils sont libres de retourner dans leur patrie; mais la plupart préfèrent vivre tranquillement dans cette île, les uns par l'habitude qu'ils en ont contractée, les autres parce que, sans travail et sans affaires, ils y trouvent abondamment tout ce qui leur est nécessaire pour leurs sacrifices, pour leurs fêtes publiques, et pour l'entretien de ceux d'entre eux qui s'occupent continuellement de l'étude de la philosophie et des lettres.
Ils disent que la température du climat de l'île, et l'air qu'on y respire, sont délicieux. Quelques-uns des habitants ayant formé le dessein de s'en retourner dans leur pays, le dieu s'y opposa, en se montrant à eux comme à des amis, non seulement en songe ou sous des voiles symboliques, mais d'une manière sensible. Plusieurs avaient vu des génies et conversé avec eux. Cronos lui-même est couché et endormi dans l'antre profond d'un rocher aussi brillant que l'or. Zeus lui a donné pour chaîne le sommeil. Au dessus du rocher on voit voltiger des oiseaux qui lui apportent de l'ambroisie, dont l'odeur, qui semble sortir de ce rocher comme d'une source, remplit toute l'île d'un parfum admirable. Cronos a pour ministres les génies, qui le servent assidument. Ils étaient ses courtisans et ses amis dans le temps qu'il régnait sur les dieux et sur les hommes. Comme ils possèdent l'art de la divination, ils annoncent souvent d'eux-mêmes l'avenir; mais les prédictions les plus importantes, et qui roulent sur de plus grands objets, ils les font quand ils sortent d'auprès de Cronos, dont ils racontent les songes, dans lesquels ce dieu voit tous les desseins de Zeus. Son réveil est marqué par des passions tyranniques et par des troubles violents que son âme éprouve; mais son sommeil est doux et tranquille, et c'est dans cet état que sa nature divine et sa souveraineté agissent selon toute leur puissance.
L'étranger de qui je tiens ce récit ayant été conduit dans l'île, y servit paisiblement ce dieu, et s'instruisit, pendant ce temps-là, dans l'astronomie. Il alla dans cette science aussi loin qu'il est possible quand on a fait les plus grands progrès dans la géométrie. Entre les parties de la philosophie, il cultiva particulièrement la physique. Mais il lui prit l'envie d'aller visiter et connaître par lui-même la grande île, car c'est ainsi qu'ils appellent le continent que nous habitons. Lors donc que ses trente ans furent expirés et que de nouveaux ministres du dieu l'eurent remplacé, il prit congé de ses amis et s'embarqua avec un équipage assez simple; mais il avait, dans des vases d'or, d'abondantes provisions de voyage. Pour vous dire toutes les aventures qu'il eut, toutes les nations qu'il parcourut, les textes sacrés qu'il rencontra et les mystères auxquels il fut initié, un jour entier ne suffirait pas si je voulais tout vous raconter en détail comme il le faisait lui-même; car il n'avait rien oublié.
Quant à ce qui regarde notre discussion présente, écoutez ce qu'il en disait, je l'ai appris de lui à Carthage, où il demeura longtemps, singulièrement honoré de tout le monde. Il y découvrit des parchemins qu'on avait transporté secrètement hors de l'ancienne vile lorsqu'elle avait été détruite, et qui étaient restés depuis ce temps-là ensevelis sous terre. Il m'exhortait fort à honorer les dieux qui brillent au ciel, et particulièrement la lune, comme la divinité qui a le plus d'influence sur notre vie. Comme je parus surpris de ce conseil et que je le priai de s'expliquer plus clairement:
“ Sylla, me dit-il, les Grecs parlent beaucoup des dieux; mais tout ce qu'ils en disent n'est pas exact. Par exemple, ils ont raison de reconnaître une Démeter, une Perséphoné, mais ils ont tort de réunir dans un même lieu ces deux divinités; car l'une habite la terre et a l'empire sur toutes les choses terrestres; l'autre est dans la lune, dont les habitants lui donnent le nom de Coré et de Persephoné. Ce dernier signifie qu'elle porte la lumière. On l'appelle Coré, qui veut dire prunelle de l'oeil, dans laquelle les objets se peignent, comme la clarté du soleil est représentée sur la lune. Ce qu'ils disent des voyages de ces deux déesses qui se cherchent mutuellement est en partie vrai: elles s'entre-désirent quand elles sont séparées, et s'embrassent souvent dans l'ombre. Que Coré soit tantôt au ciel et éclairée, tantôt dans la nuit et les ténèbres, cela n'est pas absolument faux, il n'y a erreur que dans le calcul du temps; car nous la voyons, non pas six mois de suite, mais de six en six mois, cachée sous la terre comme sous sa mère, et enveloppée dans l'ombre, ce qui arrive rarement dans les cinq mois d'intervalle, parce qu'il est impossible qu'elle abandonne Hadès, son époux, comme Homère le donne adroitement à entendre, quoiqu'en termes couverts, lorsqu'il dit:
Aux champs de l'Elysée, aux confins de la terre .
“ Il appelle les confins de la terre l'endroit où son ombre finit. C'est là que nul homme méchant et souillé ne peut parvenir. Les gens vertueux seuls y sont transportés après leur trépas, et y mènent, jusqu'à leur seconde mort, une vie tranquille, mais non entièrement heureuse et divine.
“ Ne me demandez point, Sylla, quel est ce genre de vie, je vous l'apprendrai bientôt. Le vulgaire croit avec raison que l'homme est un être composé; mais il se trompe en ce qu'il le croit composé seulement de deux parties, parce qu'il s'imagine que l'intellect n'est qu'une portion de l'âme; mais cette faculté est aussi supérieure à l'âme que celle-ci est plus parfaite et plus divine que le corps. Cette union de l'âme avec l'intellect fait la raison; son union avec le corps fait la passion, dont l'une est le principe du plaisir et de la douleur, l'autre, de la vertu et du vice. De ces trois parties jointes ensemble dans la génération de l'homme, la terre a produit le corps, la lune a formé l'âme, et le soleil l'intellect. Celui-ci est la lumière de l'âme comme le soleil est la lumière de la lune. Des deux morts que nous éprouvons, l'une réduit ces trois substances à deux, et l'autre à une seule. La première a lieu dans la région de Démeter, et c'est pour cela que nous lui faisons des sacrifices. Aussi les Athéniens donnaient-ils anciennement aux morts le nom de Démétrioi. La seconde mort arrive dans la lune, région de Persephoné. Hermès terrestre habite avec la première de ces déesses, et Hermès céleste avec la seconde. Démeter sépare promptement et avec violence l'âme d'avec le corps. Persephoné ne divise l'intellect d'avec l'âme que lentement et par des moyens doux. On lui donne le nom de Monogène, parce que après la division qu'elle a faite dans l'homme, ce qu'il y a de meilleurs en lui se trouve seul et unique, et l'un et l'autre est conforme à la nature. Toute âme qui sort du corps avec ou sans intellect est obligée, par une loi du destin, d'errer un certain temps dans la région qui est située entre la terre et la lune; mais ce temps n'est pas le même pour toutes. Celles qui ont été injustes et débauchées y subissent la peine de leurs crimes. Les âmes vertueuses y sont détenues jusqu'à ce qu'elles aient été purifiées des taches que leur a fait contracter leur commerce avec le corps, ce principe fécond de mal; mais elles sont dans un lieu où elles respirent l'air le plus pur; on l'appelle le verger d'Hadès, et elles y passent un temps déterminé. Ensuite, rappelées comme d'un long exil dans une terre étrangère, elles rentrent dans leur patrie et y goûtent une joie semblable à celle que ressentent ceux qui sont initiés aux mystères, joie mêlée de trouble et d'étonnement, et chacune avec ses espérances particulières.
“ Plusieurs sont poussées avec force hors de ce séjour, et brûlent d'être réunies à la lune. Quelques unes sont encore dans le bas, et ont leurs regards tournés comme vers un gouffre profond. Pour celles qui sont parvenues à la région supérieure, elles y jouissent d'une parfaite sécurité. Premièrement elles reçoivent, comme les vainqueurs des jeux solennels, des couronnes, qu'on appelle les ailes de la constance, parce qu'elles l'ont tenue dans une entière dépendance. Secondement, elles ressemblent à un rayon de soleil. Troisièmement, l'âme élevée dans cette région y est affermie et fortifiée par l'air qui environne la lune, et elle y prend de la vigueur, comme le fer en reçoit de la trempe qu'on lui donne. Ce qui est rare et lâche se resserre et se condense, devient ferme et transparent; en sorte que la moindre exhalaison de la terre suffit à sa nourriture. Et Héraclite a eu raison de dire que dans la région d'Hadès les âmes respiraient une odeur agréable.
“ Là elles voient d'abord la grandeur et la beauté de la lune; elles connaissent sa nature, qui n'est ni simple, ni sans mélange, mais une sorte de composé d'astre et de terre; car, comme la terre s'amollit quand est mêlée d'air et d'humidité, que le sang distribué dans les chairs leur donne de la sensibilité, de même, dit-on, la lune, par son mélange avec l'éther qui en pénètre toute la profondeur, devient animée et féconde, et se conserve dans un juste équilibre de pesanteur et de légèreté. Le monde lui-même, ainsi composé de substances, dont les unes tendent naturellement vers le haut et d'autres vers le bas, n'est sujet à aucun changement local. C'est ce que Xénocrate même semble avoir aperçu par une sorte de raisonnement divin dont Platon lui a fourni la première idée. Ce dernier philosophe a le premier avancé que chaque astre est composé de terre et de feu liés ensemble par des substances intermédiaires distribuées dans une certaine proportion, parce que rien ne peut devenir sensible à nos yeux que par un mélange de terre et de lumière. Xénocrate dit que le soleil est composé de feu et du premier solide; la lune, du second solide et de l'air qui lui est propre; et la terre, de l'eau, du feu, et du troisième solide. En général, ni un corps dense seul, ni un corps rare seul, ne sont susceptibles de sentiment et d'âme.
“ Voilà ce qu'il disait de la substance de la lune. Quant à sa grandeur et à sa largeur, elles sont beaucoup plus considérables que les géomètres ne le disent. Si elle ne mesure que peu de fois par sa grandeur l'ombre de la terre, ce n'est pas qu'elle soit petite, c'est parce qu'elle y accélère son mouvement, afin de traverser plus promptement cet espace ténébreux à travers lequel elle transporte les âmes vertueuses qui sont pressées d'en sortir et jettent de grands cris tant qu'elles sont dans l'ombre, parce qu'elles n'y entendent point l'harmonie des corps célestes. D'ailleurs les âmes des méchants, qui habitent la partie inférieure de la lune, et qui y sont châtiées, crient et se lamentent en traversant cette ombre. Voilà pourquoi dans les éclipses c'est un usage assez général de frapper sur de l'airain, et de faire un très grand bruit autour de ces âmes, qui sont encore effrayées, lorsqu'elles approchent de ce qu'on appelle la face de la lune, parce qu'elle leur paraît épouvantable à voir, quoiqu'elle ne le soit pas. Mais comme la terre que nous habitons a plusieurs golfes aussi vastes que profonds, dont l'un entre dans notre continent par les colonnes d'Héraclès et s'avance jusqu'auprès de nous, d'autres sont extérieurs, tels que la mer Caspienne et la mer Rouge; il y a de même dans la lune des cavernes et des vallées profondes. La plus grande de ces cavernes s'appelle le gouffre d'Hécate. C'est là que les âmes sont punies de ce qu'elles ont fait ou laissé faire depuis leur naissance. Les deux autres, plus petites, servent de passage aux âmes; l'une mène de la lune au ciel, et l'autre à la terre. La partie de la lune qui regarde le ciel s'appelle l'Elysée, et celle qui est du côté de la terre se nomme le champ de Perséphoné.
“ Les démons ne demeurent pas toujours dans la lune; ils descendent quelquefois sur la terre pour y avoir soin des oracles; ils assistent aux plus saints de nos mystères, et en célèbrent les cérémonies; ils veillent sur les méchants et les punissent, et ils préservent les bons des dangers de la guerre et de la mer. Si dans l'exercice de ces fonctions ils commettent eux-mêmes quelques fautes par colère, par envie, ou par une faveur injuste, ils en sont punis; on les exile sur la terre, où ils sont précipités dans des corps humains. Au nombre des meilleurs génies étaient, à ce qu'ils disaient eux-mêmes, ceux qui accompagnaient Cronos, et plus anciennement en Crète les dactyles idéens , en Phrygie les corybantes , les trophoniades à Udora , et une infinité d'autres répandus en divers lieux sur la terre, et dont les noms, les temples et le culte, subsistent encore. Mais le pouvoir de quelques-uns d'entre eux a cessé, parce qu'ils ont été, par un heureux changement, transportés ailleurs. Ces translations arrivent aux uns plus tôt, aux autres plus tard, après que leur intellect a été séparé de leur âme; séparation qui est l'effet du désir qu'ils ont de jouir de l'image du soleil, dans laquelle brille cette beauté divine, source de tout bonheur, et que toute nature désire, quoique d'une manière différente. La lune elle-même tourne continuellement, par le désir qu'elle a de s'unir au soleil pour recevoir de cet astre sa fécondité. Mais la substance de l'âme reste dans la lune, où elle conserve quelques traces et quelques songes de la vie; et je crois qu'on a eu raison de dire:
Comme un songe léger l'âme s'est envolée
ce qu'elle ne fait pas aussitôt qu'elle a été séparée du corps, mais dans la suite, quand elle se trouve seule et privée de l'intellect. Aussi de tous les passages d'Homère, nul ne me paraît plus divin que celui-ci:
D'Héraclès à mes regards l'ombre s'est présentée;
Car son âme divine habite l'Empyrée.
“ En effet, chacun de nous n'est ni le courage, ni la crainte, ni la cupidité, comme il n'est ni la chair ni les humeurs; mais il est la pensée et l'intelligence. L'âme formée par l'intellect, et formant elle-même le corps qu'elle embrasse de tous côtés, reçoit en même temps de lui son impression et sa forme; en sorte que, même après sa séparation d'avec l'un et l'autre, elle en conserve longtemps la ressemblance et la figure; ce qui fait qu'on l'appelle à bon droit leur image.
“ La lune, comme je l'ai déjà dit, est l'élément de ces âmes, puisqu'elles se résolvent dans cette planète, comme après la mort les corps se résolvent en terre. Les âmes vertueuses qui, éloignées des affaires, ont mené dans la pratique de la philosophie une vie douce et tranquille, éprouvent plus promptement cette résolution, parce que, abandonnées par l'intellect, et renonçant aux affections du corps, elles se dissipent à l'instant. Mais les âmes des ambitieux et des gens plongés dans les affaires, celles des voluptueux, esclaves de leurs sens, celles des hommes coléreux, conservent, comme dans le sommeil, le souvenir de ce qu'elles ont fait pendant leur vie, errent au milieu des songes, comme l'âme d'Endymion, parce que leur inconstance et leur assujettissement aux passions les entraînent hors de la lune, pour commencer une nouvelle génération, et, sans leur laisser goûter de repos, les attirent sans cesse par leur appât séducteur; car on ne voit plus rien en elles de modéré, de paisible et de constant, lorsque, séparées de l'intellect, elles sont saisies par les passions corporelles. Ce sont des âmes de ce caractère qui donnèrent naissance aux géants Tityus, Typhon, et à Python, qui jadis s'empara de Delphes et détruisit avec tant de violence le sanctuaire de l'oracle; âmes privées de raison, et qui se laissent emporter à la fougue de leurs passions insensées. Cependant, au bout d'un certain temps, la lune les reçoit dans son sein et leur donne une nouvelle forme; le soleil, semant une seconde fois l'intellect dans ce principe de leur vie, en fait des âmes toutes nouvelles; et la terre, pour la troisième fois, les revêt d'un corps; car elle ne donne rien après la mort de ce qu'elle prend pour la génération, et le soleil ne reçoit rien, mais il reprend l'intellect qu'il a donné.
“ Pour la lune, elle donne et elle reçoit; elle unit et elle sépare, suivant ses différente facultés. Lorsqu'elle unit, on l'appelle Ilythie, et Artémis quand elle sépare. Des trois Parques, Atropos, placée dans le soleil, donne le principe de la naissance; Clotho, qui suit la lune dans sa révolution, joint et unit; Lachésis, qui est la dernière, et qui réside sur la terre, seconde Clotho, et partage son pouvoir avec la Fortune. Toute substance qui n'a point d'âme ne jouit d'aucun droit, et est exposée à souffrir de tout ce qui l'environne. L'intellect, qui n'est soumis lui-même à aucun pouvoir étranger, exerce sur tout le reste un empire souverain. L'âme est un composé des deux, comme Dieu a formé la lune du mélange des substances supérieures avec les inférieures, et lui a donné avec le soleil la même proportion que la terre a avec la lune.
Voilà, nous dit Sylla en finissant, ce que j'ai entendu raconter à cet étranger. Il disait le tenir des génies qui étaient attachés à Cronos, et qui le servaient. Pour vous, Lamprias, prenez de ce récit telle idée qu'il vous plaira."


Balaise, hein? Maintenant, essayez de déterminer là-dedans ce qui est grec et ce qui est celte, sachant que l'informateur de Sylla est un Breton...
Sachant aussi que la tripartition de l'âme se retrouve chez Platon, que la réincarnation était enseignée par Pythagore (il y a une anecdot célèbre, cité par Diogène Laerte, je crois, au sujet d'un chien qui a reçu l'âme d'un homme).

A+

Patrice[/b]

MessagePosté: Mer 11 Fév, 2004 16:26
de Muskull
Bonjour :D

Patrice a écrit :
Ensuite, chez Muskull inattentif, tu iras pour ta pénitence dans une bibliothèque, et tu rechercheras la traduction de Ricard (courant XIXe siècle: c'est la seule disponible en Français) de l'essai de Plutarque De la face qu'on voit sur la Lune.

Puis :
Salut Muskull,
Tu m'obliges à sortir l'artillerie lourde, alors voilà:


Ayant échappé de peu à la pénitence (que je méritais pas cela va sans dire) me voilà canonisé par Patrice qui est comme chacun le sait un avatar de Saint Patrick ! Allez Louya !!! :lol:

Merci Patrice pour ce texte passionnant que je m'en va étudier à la loupe :wink:

Déjà une petite remarque, le mot daïmon grec n'aurait pas du être traduit par "démon", cela porte à confusion. Les daïmons étaient des esprits qui pouvaient être bons, néfastes ou neutres, on les considéraient comme des influences divines pouvant s'incarner en une personne, un groupe, un peuple...

MessagePosté: Mer 11 Fév, 2004 17:32
de Patrice
Salut Muskull,

Tu as tout à fait raison pour daimon/démon, mais il faut dire que c'est à défaut d'autre chose. Esprit est bien trop vague, "divinité inférieure" trop artificiel.
Difficile de trouver le bon terme dans ce cas...

A+

Patrice

PS: je ne canonise personne: j'explose, je ventile et je disperse. Et c'est comme pour Avallon, après on peut dire qu'il y a de la pomme.

MessagePosté: Jeu 12 Fév, 2004 2:00
de Elanis
Salut,
Ne peut-on pas rapprocher le daïmon du "génie" ?
à+

MessagePosté: Jeu 12 Fév, 2004 10:37
de Nolwenn
Elanis a écrit:Salut,
Ne peut-on pas rapprocher le daïmon du "génie" ?
à+


bonjour,

pas particulièrement, c'est un sens donné par Apulée au II ème siècle, puis repris au XVI pour une spécialisation chrétienne...je pense...

MessagePosté: Jeu 12 Fév, 2004 13:04
de Nolwenn
Nolwenn a écrit:
Elanis a écrit:Salut,
Ne peut-on pas rapprocher le daïmon du "génie" ?
à+


bonjour,

pas particulièrement, c'est un sens donné par Apulée au II ème siècle, puis repris au XVI pour une spécialisation chrétienne...je pense...


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rectification, :oops: il y a effectivement une assimilation du Daïmon en tant que Génie intérieur de l'homme qui participait à la nature de son âme, en ce sens, le démon relève de la sphére du Divin position qui lui confére un pouvoir d'intermédiaire entre la volonté des Dieux et la conscience intérieur de l'humain.
C'est dans ce sens, par exemple qu'en parle Socrate, lorsqu'il prend conseil de son "Démon" et c'est dans ce sens que JUNG en a retrouvé la figure lorsqu'il parle de ces "êtres psychiques" qui surgirent pour lui du fond de l'inconscient lui prodiguant des conseils et avis.
Le démon se représente là comme un " Spiritus Rector ", en bien des points assimilable à une manifestation de l'archétype du Senex, du vieux sage et renvoie à celui du Soi, de la présence de Dieu en nous, qu'il personnifie dans le même geste.
En transférant le démon intérieur vers la figure de l'ange, les chrétiens semble laisser au Démon que le rôle de la force intérieure que Dieu ne gouvernait pas et qui relevait donc du Diable. D'où le glissement de ce sens qui fit d'abord des démons, des Anges déchus...

MessagePosté: Jeu 12 Fév, 2004 18:30
de Elanis
Nolwenn :)
Merci pour cette analyse, tes explications sont très claires. :)
à+

MessagePosté: Jeu 12 Fév, 2004 19:10
de Muskull
Limpides mêmes ! :D

Le daïmon perché sur l'épaule de Socrate qui par ses murmures le reliait à la connaissance directe trouve aussi sa correspondance dans ce que les shamans nommaient les "alliés" ou "esprits alliés".

Les djins (jan) de la tradition arabe sont plus des esprits élémentaires reliés à une antériorité animiste et ils ne sont pas amicaux à l'homme. Ils représentent de manière symbolique l'opposition de la nature aux désirs humains et donc une certaine culpabilité de prendre sans donner qui a marqué l'émergence du concept d'un divin "étranger" à la pensée humaine commune.

L'ascèse, qui est plus un respect qu'un refus des richesses du monde permet de se concilier un "allié", un "ange". Dumézil nous dit que "les dieux" craignent les ascètes tant en orient qu'en occident.

Je voudrais insister ici aussi sur la large part que tient la très ancienne religion shamane sur l'idéologie I.E.
Le développement est patent et fructueux ; il conduit vers le 5° siècle B.C. à la révélation du monisme par quelques uns qui "avaient un daïmon sur l'épaule'... :D

MessagePosté: Ven 13 Fév, 2004 17:48
de Muskull
Bonjour :)

Pour en revenir au texte de Plutarque :wink:

Il est étonnant je trouve ; il parle bien sûr de l'île qui pourrait-être l'Islande ou le Groenland, soleil de minuit et tout et tout ! :shock:
Mais aussi d'un continent qui fait "le tour de la mer" !

Les bretons connaissaient -ils l'Amérix par Toutatix ???
Ce fameux golfe encombré de vase l'embouchure du Saint Laurent ??? :?

Pire !!! :roll:
Les îles embaumées ? Ne peut-on y voir les Açores et au delà les iles proches du continent, les Antilles ; le golfe étant alors celui du Mexique ???
En terme de navigation le retour des Açores est possible en 10 jours avec un bon voilier de l'époque...

Je délire un peu mais vous en pensez quoi ?

MessagePosté: Ven 13 Fév, 2004 20:57
de Tectosage
Bonsoir,
Cette discussion me renvoie à quelques réflexions que j'hésite à avancer ici. J'ai bien envie de me lancer quand même, mais svp, soyez indulgents.

En survolant un peu tout, en étant spécialiste de rien, j'essaie de trouver dans l'histoire, la sociologie, l'antropologie, la philo... quelques repères qui me semblent avoir de la permanence et du sens, des repères qui ressemblent aux invariants des sociologues.
J'en évoquerai deux qui nous concernent ici:
- La tripartition Indo-européenne, car elle est à nouveau évoquée par Muskull;
- Les Dionysos.

Parler de la tripartition, ici, bigre avec tout ce que vous en dites, ça me fait peur parceque, ma compréhension, ma perception, se heurte aux canons de vos gourous. Je crois que la tripartition constitue une de ces invariances et que par conséquent elle se retrouve, à des degrés divers, dans toutes les sociétés dès lors que les sociétés franchissent une étape d'évolution appropriée. L'un de vous disait "l'étape de la société agricole", c'est sans doute un bon repère.
La tripartition se retrouve aussi en Amérique précolombienne que l'on ne peut soupçonner d'être contaminée par les Hittites. Je crois bien que l'Egypte pré-Hittite répondait positivement aussi à bon nombre de structures de tripartitions...
Ainsi la tripartition m'apparait plutot comme une structure d'analyse rationnelle pour étudier les sociétés, mais je n'arrive pas à me convaincre que ce soit une spécificité Indo-Européenne.
Exemple pour aller vite, s'il se peut : En lisant <La société celtique> de Le Roux et Guyonvarc'h, j'ai vraiment l'impression que ces auteurs arrangent des exemples, pas tous, pour les faire entrer au forcing dans le schéma de tripartition. Je ne vois d'ailleurs pas l'intéret, pour quelque société que ce soit, de vouloir unifier un schéma d'organisation qui se répandrait partout, dans ses légendes, dans ses mythes, dans tous ses rituels de la famille ou de la guerre. S'agit-il de prouver, par abondance d'exemples, que la société celtique est Indo-Européenne ou à postériori ayant admis que la société celtique est Indo-Européenne, il s'agirait d'accumuler les exemples de structures triparties car tout devrait être tripartitionné.
Enfin, je crois que l'adoption de cette généralisation à toute société, n'enlève rien à la richesse de la tripartition. Ce modèle permet, d'autant plus qu'il est accepté comme général, de repérer de grandes étapes de l'évolution des sociétés. Il permet en effet de s'interroger sur les structures internes des dites sociétés en faisant ressortir les parts de : savoir, force et travail. Mais chaque élément de société n'est pas obligatoirement décomposable en ce modèle. (à mon humble avis)

Dionysos et tous ses équivalents m'apparaissent comme exprimant une autre frontière d'importance. Nous retrouvons dans toute société, n'est-ce pas?
- des éléments de stabilité qui assurent la permanence;
- des éléments de rupture qui permettent les évolutions.
Les interrogations sur ces éléments m'apparaissent comme fondamentales.
Se poser les questions sur les éléments de stabilité renvoie à l'étude des morales, des codes sociaux, des normes de comportement.
S'interroger sur les éléments de ruptures c'est éclairer les forces d'évolution que recellent les sociétés. Dionysos me semble exprimer surtout cette rupture, cette transgression totale. La Grèce a construit la civilisation, on sait combien était prégnantes les forces sociales, par les religions puis par les lois de la cité. Dionysos est comme un guetteur des esprits, un prêtre particulier, un dieu à part puisqu'il vient rappeler que dans l'homme civilisé sommeille encore la bête. Il propose d'essayer toutes les transgressions y compris de transgresser la mort.
Je crois que c'est grâce à Dionysos que la Grèce pouvait oser la philosophie, la logique, la technique, pouvait ouvrir la science.
Si le dionysisme (ou sont équivalent, je ne sais comment dire) est actif en Celtie, on pourrait peut-être s'en aider pour les fouilles archéologiques de la pensée. Vos exemples montrent, me semble-t-il, que les sociétés celtiques étaient aussi bien tourmentées par leurs Dionysos.
Mais bigre, que n'ont-elles laissées des écrits !!!!!!

Qu'en pensez-vous ???

[i]pax valentina[/i]

MessagePosté: Ven 13 Fév, 2004 23:19
de ejds
Pax romantica à tous!

D'où qu'elles viennent, les religions à mystères connurent des variantes mettant en scène l’au-delà, le sommeil et la grotte.
Ces mythes existaient déjà chez les Grecs avec pour traits ceux d’un berger. L’histoire eut lieu en Anatolie centrale, à l’intérieur de la Turquie près du village de Kapiri. Les flancs de la montagne où se trouve cette grotte présentent encore d’autres vestiges d’occupation humaine préhistorique, propices au recueillement et pour se cacher des persécutions. Certaines cavernes sont abondamment décorées, disséminées dans les rochers et l’on trouve des dizaines de grottes et abris, des églises rupestres creusées à même la roche volcanique et dont les innombrables fresques plus tardives représentent des scènes des Evangiles, des Archanges, des Saints, des pères de l'Eglise orthodoxe…

Endymion le berger

Endymion le berger
Fut aperçu par Séléné, la Lune.
Elle le vit et l’aima.
Elle descendit des cieux
Jusqu’à la grotte de Latmos,
Elle l’embrassa et s’étendit près de lui.
Que son sort est fortuné;
Sans un geste, immobile,
A jamais il sommeille
Endymion le berger.


Dans tous les récits qui lui sont consacrés, il dort à jamais, immortel. Toujours aussi beau, il repose étendu sur le flanc de la montagne, aussi lointain et immobile que dans la mort. Et nuit après nuit, la Lune lui rend visite et le couvre de baisers. Mais on dit aussi que sa passion ne lui apporte que peine, une peine qui s'exhale en de nombreux soupirs...

MessagePosté: Sam 14 Fév, 2004 0:39
de Patrice
Salut Muskull,


J'aimerais comprendre: est-ce qu'on se casse la tête à essayer de localiser le Tartare ou le Styx? A-t-on jamais pu situer les eaux du Léthé? Non. Pourquoi? Parce que chez les Grecs on sait que c'est du mythe.
Alors pourquoi systématiquement faire cette démarche absolument improductive pour les Celtes? Cette île est mythique. Quel que soit l'endroit où on se place, elle sera toujours à l'ouest. Nord-ouest, sud-ouest, peu importe. A l'ouest. Point.
On ne localise pas les Enfers avec précisions.

A+

Patrice

MessagePosté: Sam 14 Fév, 2004 15:00
de Muskull
Bonjour :)

100 % pur mythe ? Hummmm...

A ce moment il y a une certaine incohérence de te servir de ce texte pour démontrer que le concept de la réincarnation existait chez les celtes.

Il y a un élément symbolique fort dans ce texte, celui de Chronos en dormition et il se trouve lié à un lieu géographique où le jour dure plusieurs mois "comme si le temps était arrêté"...

Plutarque est du 1° siècle et trois siècles plus tôt Pythéas avait déjà écrit sur ces parages...
Evidemment l'Islande n'a rien d'une île paradisiaque couverte d'arbres en fleurs et hanté de chants d'oiseaux et c'est là que le mythe intervient.

Ce qui est troublant c'est la mention de 5 îles encore plus à l'Ouest et d'un immense continent...
Mais je suis d'accord avec toi, et je n'y vois pas une préfiguration de la Route du Rhum dans l'antiquité... :lol: