L'assise indo-européenne

[Muskull]

Bonjour

Je viens de lire un livre :
http://www.ombres-blanches.fr/pages/bul ... b2_2_8.htm

Indépendemment du propos de l'ouvrage : montrer que la violence de l'homme contre l'homme a été une constante de l'histoire, mais avec de sérieux bémols très bien définis ; les auteurs (des plus conséquents parmi les chercheurs contemporains) développent l'idée d'une société tripartite non pas due à des migrations massives d'I.E. mais d'une évolution de la (des) société occidentale vers le culte du chasseur / guerrier, puis du héros.
L'intrusion de nouvelles technologies, le cuivre, le bronze, le fer, induisant, non des intrusions de peuples migrants mais des diffusions technologiques qui remanient profondément le substrat local et l'idéologie guerrière. Mais aussi les concepts sociaux hommes / femmes.

Cela rejoint, par déduction personnelle, la thèse de Renfrew sur le substrat I.E et l'évolution du "celtique" par l'affirmation pragmatique d'une société tri-fonctionnelle de "rois" élus et sacrifiés (ainsi que leurs proches) pour le "meilleur" bien de leurs peuples.

[mikhail]

Ah, Muskull,

Que voici un sujet riche, sensible et polémique !

N'ayant pas (encore) lu l'ouvrage, il m'est évidemment difficile de le commenter !
Toutefois, étant un familier de Robert Ardrey, la violence intra-spécifique (violence de l'homme pour l'homme, en clair) n'est pas une découverte récente. Raymond Arthur Dart avait déjà trouvé un crâne fracassé par un "outil" : un humérus. La découverte date de 1925 à Taungs, près de Johannesburg, il a fallu plus de 25 ans et, parmi d'autres, le livre de Robert Ardrey "Les enfants de Caïn" (African genesis, Literrat 1961 ; en France : Stock 1977) pour faire accepter que l'on se tuait fort bien il y a plusieurs millions d'années...

La création et le développement de l'idéoloige tripartie est un autre domaine. Il faut quand même signaler, rappeler, qu'elle est spécifique aux descendants d'un peuple dénommé "indo-européens" à cause de la langue --reconstruite-- qu'ils parlaient. Voir les livres de Dumézil et la synthèse de Bernard Sergent.
Pourquoi ce choix idéologique ? Dumézil, l'inévitable Dumézil, rappelle que les autres peuples ont fait d'autres choix, radicalement différents, à la même époque.

mikhail

[Muskull]

Bonjour

Un court extrait du livre qui tend à démontrer le développement social du guerrier et de l'aristocratie à partir du substrat ancien sans autres interventions extérieures que technologiques...

.../...
Dans un tel contexte, le guerrier semble devenir un personnage type de la société de l'Âge du bronze. Sans doute cette mutation fut-elle lente. Divers indices semblent, en tout cas, la valider. Ainsi le développement, dès la fin du 3° millénaire, rapide dans certaines régions, plus lent dans d'autres, de la tombe simple peut être interprété comme une émancipation de l'individu, moins prisonnier des réseaux de parenté. plus ouvert à son destin, cette liberté d'action pouvant d'ailleurs renforcer l'instabilité politique de l'époque.
Si les caveaux collectifs de l'époque antérieure sont encore utilisés quelque temps, jusque vers -1700 en terre méditerranéenne (Sardaigne. Midi de la France). la pyramide sociale s'affiche très vite on Europe cen-trale comme sur l'Atlantique les « chefs» se font désormais enterrer sous d'imposants tumulus, leur dépouille agrémentée de parures en métal précieux, en ambre, en verre, d'armes de plus en plus sophistiquée, de récipients de qualité.
Ainsi on va-t-il des tombes princières d'Armorique, du Wessex ou de Saxe.
En Espagne du Sud-Est, les nantis de la culture d'El Argar, parés de diadèmes d'argent, pourvus d'armes et de bijoux, thésauriseront dans la tombe les plus belles productions métalliques de l'Ibérie méridionale. Le registre archéologique signe bien une accentuation de la pyramide sociale, exaltée à travers la qualité. voire l'exotisme des mobiliers funéraires. À l'évidence, des aristocraties se mettent on place, même si leur avenir est incertain et si leurs membres font périodiquement l'objet de remises en question.
Le métal a-t-il, au départ. favorisé la montée en puissance du guerrier ou les élites ont-elles eu intérêt à disposer d'armes plus efficaces et donc à pousser plus avant les performances de la métallurgie? Il est bien difficile de distinguer la cause de l'effet. Quoi qu'il en soit, le bronze, alliage de cuivre et d'étain, ser-vira d'abord à l'amélioration des engins de guerre. Aux beaux poignards de l'ancien Age du bronze, peut-être armes autant cérémonielles -comme les halle-bardes - que fonctionnelles, s'adjoint bientôt l'épée, arme de parade tout autant que rapière violente.
La lance, qui bénéficie d'une pointe désormais en métal, pourra aussi jouer, à l'occasion, un rôle d'instrument d'attaque et de prestige. Enfin l'arc, plus traditionnel, subsistera pour les tirs à distance. Une fois la métal-lurgie du bronze maîtrisée, cette orientation des progrès techniques vers l'armement n'est pas innocente:
elle souligne le poids social des commanditaires qui pèse sur les forgerons: le pouvoir de quelques-uns canalise l'innovation métallique en faveur des détenteurs d'armes.
Vers la fin de l'Âge du bronze, à compter de 1200 avant notre ère et jusqu'à l'apparition de la métallurgie (vers - 800/- 700 en Occident), le guerrier est désormais en place avec sa panoplie offensive et défensive. Celle-ci subira, au cours du temps, des transformations de style. de forme, de matériau mais elle ne variera guère jusqu'à l'avènement de techniques plus sophistiquées, comme l'arbalète ou les amies à feu. C'est dire que l'archétype du guerrier occidental, protohistorique, antique et médiéval, est en place dès la seconde moitié du 2 millénaire avant notre ère,
Certes, il n'y avait toujours pas d'armée permanente et les conflits entre communautés de l'Âge du bronze devaient beaucoup plus ressembler à des razzias, suivies de rapts de femmes et d'enfants ou de vols de bétail, qu'à des batailles rangées. Mais veiller sur le groupe social, S'en prendre aux biens d'autres localités, voire provoquer autrui est désormais affaire de sujets entraînés et pour qui le maniement des armes est devenu une spécialité. Nul doute que les aristocraties de l'Âge du fer ne plongent leurs racines dans ces petits «féodaux » de l'Âge du bronze évolué.
.../...

[Fergus]

Tout ceci est bien révélateur de la fermeture d'esprit de certains archéologues, pour qui le mot "culture" ne désigne plus que des objets matériels, et qui ne tiennent (ou ne veulent tenir) aucun compte d'autres éléments : la langue en particulier, et les contenus psychiques, culturels, mythiques qui y sont inclus. L'identité de matériel ne signifie pas l'identité linguisitique, culturelle, mythique, et compagnie. Ou alors Cro-Magnon, c'est des Papous.

[mikhail]

D'après tes dates citées, Muskull, il est clair que ce que Dumézil appelait "idéologie" indo-européenne est nettement antérieure d'un à deux millénaires à ces artéfacts archéologiques.

Cela me rassure : les formes notées, trouvées par les archéoloques font bien typiquement I.E. ou dans l'idéologie, la mythologie indo-européenne, sa structuration en trois "fonctions".

Quant au livre cité de Colin Renfrew (le 2e : "L'énigme indo-européenne", Flammarion 1990, 1987 pour l'original anglais), je maintiens ma suspicion et ma plus grande réserve pour une thèse qui contredit le premier : "Les origines de l'Europe (la révolution du radio-carbone)", 1973, 1979 en anglais, 1983 en français chez Flammarion.
D'ailleurs Sergent est lui aussi en désaccord avec le deuxième Renfrew.

sans autres interventions extérieures que technologiques ..

devient difficilement acceptable...

D'autres arguments ?

mikhail