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Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Ven 15 Jan, 2010 10:19
de buzhug
Bonjour à tous,

Merci pour la régulation, André-Yves!
Oui, c'est vrai que c'est une bonne blague, mais, excusez, j'habite juste à côté de l'endroit où fut l'abbé, et cette blague, nous l'entendons fréquemment (un peu trop?) de la bouche des touristes.....
Et puis j'ai rebondi là-dessus car précisément le [u]fantasme coupe du réel [/u](coupe, vous m'entendez :wink: ?) en même temps qu'il y relie, alors c'était l'occasion de jouer un peu aussi.... Cette blague montre importance et rôle du fantasme, ici comme ailleurs.
Ne m'en voudrez pas de fourbir les mêmes armes que les autres bêbêtes de l'arbre, voire d'intimider avec comme il est d'usage par ici?

Je rêve de prendre en compte à la fois l'histoire (mythologie, archéologie, bref, des données dites "scientifiques") et des données individuelles de terrain (ethnographie, psychopathologie), de façon à les croiser.

Mais ce n'est pas tout à fait le fil "local".......

Bien à vous,
Buzhug

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Ven 15 Jan, 2010 11:13
de buzhug
je m'explique,
si on retourne la vapeur, ça donne:
- prendre en compte le rapport de l'historien/ celui qui écrit, parle, au vécu étudié en question (vécu mythique)
- par rapport au réel observable (textes, mais aussi manières d'être des gens, sur l'arbre mais aussi dans les anciens territoires celtes)
- de façon à ce qu'apparaissent les survivances du vécu étudié, susceptibles de nous renseigner bien mieux que les textes, sur le dit vécu. Survivance: ce qui survit après la mort.
Que d'aucuns me pardonnent cette formalisation: cela existe certainement déjà, et je ne doute pas que cela ait lieu sur le forum, compte tenu de la qualité des interventions. Mais à ma connaissance, ce point épistémologique est encore invisible en celtologie. Il s'agirait d'une "ethnographie de la survivance celte" .
peut-être quelqu'un a-t-il des info. sur une telle démarche?

Précisions sur la blague de l'abbé:
Le sous-entendu de Jacques touchait au bienfondé de l'abbé, et par là au respect de nos ancêtres. Si j'ai vite démarré, c'est que nous entrons précisément là dans le champ du sacré, à savoir aujourd'hui au XXIème siècle d'une part ce qui nous reste de nos ancêtres et leur survivance (la relique), d'autre part le sens que nous donnons à cette transmission, le fameux sens de l'offrande. peut-être ici l'ignorance, est-elle l'autel du "sacrifice" des autres? je mets des guillemets pour préserver de la charge symbolique de ces mots.....
Cela fait écho à un post de Muskull je crois sur le forum Histo. Féminin/ masculin sur le caractère "social" du sacrifice
Quoiqu'il en soit, vous voyez que je suis comme vous en proie au sens de l'étude, avec mes faiblesses également

@+

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Sam 16 Jan, 2010 22:31
de Taliesin
Bonsoir,

reprenons...

L'Armes Prydain Vawr mentionne Conan et Cadwaladr comme libérateurs de la Bretagne. C'est aussi le cas des Prophéties de Merlin, intégrées par Geoffroy à son Histoire des rois de Bretagne, et de la version de Jean de Cornwall. Ces deux textes, avec leurs ressemblances et divergences, dérivent de la même tradition prophétique se rattachant à l'Armes Prydain. Point d'Arthur...
Le premier témoignage concernant Arthur et son retour est celui des chanoines de Laon, visitant Bodmin vers 1113. Bodmin est en Cornouailles, mais en 1113, les Bretons armoricains - au service des Normands - y sont nombreux (voir Keats-Rohan, Ditmas,...)

dans l'Histoire des rois de Bretagne, Geoffroy indique seulement qu'Arthur, mortellement blessé, fut transporté dans l'île d'Avallon pour y soigner ses blessures. La Vita Merlini, qu'il écrit en 1148, nous apprend qu'Arthur est soigné par Morgane et qu'elle se dit capable de le guérir.
Cette allusion au séjour d'Arthur en Avallon prend place à la fin de l'exposé de Taliesin. Merlin lui répond alors que le royaume (probablement la Bretagne) est ravagé et que la race saxonne va à nouveau réduire les Bretons à néant. Ce à quoi Taliesin réplique : "Il faudrait donc pour le bien du peuple envoyer auprès de Morgane un messager et demander au roi, s'il est déjà rétabli, de revenir sur un vaisseau rapide pour repousser les ennemis avec l'énergie dont il est coutumier et réformer le comportement des citoyens en restaurant l'ancienne paix."
Voici donc un témoignage très précis de la croyance au retour d'Arthur comme libérateur de la Bretagne. Pourtant, Merlin réplique à Taliesin qu'il vaut mieux ne rien faire pour l'instant car tel est la volonté divine : il faut attendre que viennent Conan et Cadwaladr.
Merlin s'oppose donc au retour d'Arthur, contrairement à Taliesin.
Peut-être faut-il y voir certaines dissensions à l'intérieur du monde britonnique, dans un contexte très troublé - la guerre civile anglo-normande - où Gallois et Bretons armoricains se retrouvent dans les deux camps. Ces années 1140-1150 marqueraient en quelque sorte une évolution dans la littérature prophétique-messianique des Bretons, où Arthur commencerait à remplacer Conan et Cadwaladr. Cette évolution pourrait être le fait des Bretons armoricains (Taliesin revient d'Armorique lorsqu'il engage le dialogue avec Merlin). En effet, le témoignage du Draco Normannicus d'Etienne de Rouen, écrit vers 1168, place le retour d'Arthur dans le contexte d'une rébellion de seigneurs bretons, Roland de Dinan à leur tête, contre Henri II.
Il semble que la croyance au retour d'Arthur atteigne un sommet lors de la naissance du fils posthume de Geoffroy Plantagenêt, prénommé Arthur. Peu de temps après, Henri II aurait appris où se trouvait le tombeau d'Arthur. Vers 1190-1191, l'invention de la sépulture d'Arthur à Glastonbury vise à montrer qu'il ne pourra jamais revenir, puisqu'il est bien mort et enterré. C'est de cette période, sous le règne de Richard Coeur-de-Lion comme roi d'Angleterre, que date le poème "Appel des Bretons aux armes", qui sonne comme une réponse à l'officialisation de la mort d'Arthur :

http://books.google.fr/books?id=4yAbAAAAYAAJ&ots=YU1CIV7H83&dq=edelestand%20du%20m%C3%A9ril%20po%C3%A9sies%20populaires%20latines&pg=PA275#v=onepage&q=&f=true

Léon Fleuriot a proposé une traduction presque entière de ce texte dans Récits et Poèmes celtiques, p. 76-78. Il pense que ce texte est d'origine bretonne armoricaine. En voici un extrait :

"Notre fort ancêtre, le grand roi Arthur, s'il vivait aujourd'hui (note : il est donc mort), je serais en sécurité. Aucun rempart des Saxons ne lui résistait. [...] Que le Tout-Puissant lui procure un successeur, au moins égal à lui, qui soulage l'antique douleur des Bretons et leur rende splendeur et leurs biens."
Il est possible que ce successeur potentiel ait eu pour nom Arthur lui aussi - Arthur 1er, héritier du duché de Bretagne - et qu'il ait alors cristallisé sur sa personne les espoirs mis dans le retour de l'Arthur légendaire.

Beaucoup d'hypothèses et de conditionnel, mais c'est pour faire avancer le schmilblick

Nota Bene : Fleuriot n'a pas traduit les deux derniers paragraphes, concernant Charles et Richard Coeur-de-Lion. Est-ce qu'un éminent latiniste du forum pourrait s'en charger ? Merci beaucoup.

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Dim 17 Jan, 2010 0:48
de André-Yves Bourgès
Taliesin a écrit:Nota Bene : Fleuriot n'a pas traduit les deux derniers paragraphes, concernant Charles et Richard Coeur-de-Lion. Est-ce qu'un éminent latiniste du forum pourrait s'en charger ? Merci beaucoup.


Voici une première traduction (à affiner) :

"La France vante son seul Charles [Charlemagne ? ],
Et l’Angleterre met en avant Richard pour sa loyauté.
Le grand nombre supplante le petit nombre
Parce que cette quadruple gloire honore la vertu royale.

A ceux-ci [Charles et Richard] fut accordé de régner à l'intérieur de leurs frontières,
A ceux-là [sans doute les quatuor imperatores mentionnés plus haut dans le texte] de triompher des ducs, des gouverneurs, des rois,
Lesquels ne pouvaient se comparer à eux par nul mérite.
Commander [induperare=imperare] est beaucoup plus que régner".

[J'ai affiné le texte du troisième vers et corrigé celui du quatrième, déformé par une stupide distraction]

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Dim 17 Jan, 2010 10:47
de André-Yves Bourgès
André-Yves Bourgès a écrit:
"La France vante son seul Charles [Charlemagne ? ],
Et l’Angleterre met en avant Richard pour sa loyauté.


On retrouve ces deux souverains en compagnie d'Alexandre et d'Octave, dans une sorte de Panthéon ethnique où les Bretons pour leur part affirment la place d'Arthur, comme le signale vers le milieu du XIVe siècle Raoul Higden (Quemadmodum Graeci suum Alexandrum, Romani suum Octavium, Angli suum Ricardum, Franci suum Karolum, sic Britones suum Arthurum praeconantur), cité ici d'après Ussher.

Sans abaisser à cette époque la date de la composition du poème mentionné par Patrice, sa formulation laisse à penser qu'il a été composé assez largement après la mort de Richard Coeur de Lion.

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Dim 17 Jan, 2010 13:30
de Taliesin
Bonjour André-Yves, et merci pour la célérité de votre traduction.

Le manuscrit qui porte le poème est du 13ème siècle, sa composition est forcément postérieure à l'accession de Richard au trône d'Angleterre (octobre 1189).
La référence à Charlemagne pourrait être une allusion à Philippe-Auguste, comparé à l'empereur franc dans une poésie de Bertran de Born. La mention des deux seuls souverains franc et anglais pourrait se rapporter au contexte politique breton de la fin du 12ème siècle, où le duché est convoité par les Plantagenêts et les Capétiens, l'espoir breton se portant sur la personne du jeune duc Arthur.

J'admets néanmoins qu'une rédaction à une date plus basse, quasi-contemporaine du manuscrit, est possible : le Pas Saladin, roman de la fin du 13ème siècle, place Richard dans la lignée d'Alexandre et de Charlemagne. Mais sa légende a commencé à être forgée de son vivant (v. Flori, Richard Coeur-de-Lion, p. 474-476).
Le poème pourrait aussi avoir été composé en l'honneur de la naissance du futur duc Arthur II (né en 1262, règne de 1305 à 1312)

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Dim 17 Jan, 2010 20:56
de André-Yves Bourgès
Taliesin a écrit:J'admets néanmoins qu'une rédaction à une date plus basse, quasi-contemporaine du manuscrit, est possible : le Pas Saladin, roman de la fin du 13ème siècle, place Richard dans la lignée d'Alexandre et de Charlemagne. Mais sa légende a commencé à être forgée de son vivant (v. Flori, Richard Coeur-de-Lion, p. 474-476).
Le poème pourrait aussi avoir été composé en l'honneur de la naissance du futur duc Arthur II (né en 1262, règne de 1305 à 1312)


Cette dernière hypothèse est intéressante : elle s'inscrit dans ce que nous connaissons du "contexte idéologique" de la seconde moitié du XIIIe siècle à la cour de Bretagne. Voir à ce sujet : "La cour ducale de Bretagne et la légende arthurienne au bas Moyen Âge : Prolégomènes à une édition critique des fragments du Livre des faits d'Arthur", dans A travers les îles celtiques. Mélanges à la mémoire de Gwenaël Le Duc, 2008 (= Britannia monastica n° 12), p. 79-119, dont une version est accessible en ligne ici.

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Jeu 09 Juin, 2011 16:13
de sultana11
Alexandre a écrit:
Muskull a écrit:Je crois bien que ce genre de réponse ne peut me satisfaire. :wink:

J'en conviens, c'est frustrant.

Je vous remercie pour vos précieuses informations.

Cordialement,
ecole centrale de santé

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Sam 04 Avr, 2015 17:35
de lionel
André-Yves Bourgès a écrit:
Greg ajoute :
"Plusieurs semblables imposteurs s'élevèrent par toutes les Gaules ....................... et de celte manière ils obtenaient un grand crédit parmi les peuples.........................[/i]).


C'est probablement ce qu'on appelle : "manière celtique", ce qui semble normal pour les Gaules.

Amicalement

Lionel :s46:

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Lun 06 Avr, 2015 20:17
de André-Yves Bourgès
lionel a écrit:
André-Yves Bourgès a écrit:Greg ajoute :
"Plusieurs semblables imposteurs s'élevèrent par toutes les Gaules ....................... et de celte manière ils obtenaient un grand crédit parmi les peuples.........................[/i]).


C'est probablement ce qu'on appelle : "manière celtique", ce qui semble normal pour les Gaules.


Merci d'avoir relevé cette coquille : il faut bien sûr lire "de cette manière" ! :mrgreen:

Re: historiographie arthurienne

MessagePosté: Lun 06 Avr, 2015 21:45
de lionel
Tant il est vrai que certains semblent confondre matière celtique avec manière celtique, de façon subconsciente, comme Hyps au verseau.

Amicalement

Lionel :biere: hyps :s44: verso