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Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 17:32
de Jacques
Taliesin a écrit:Au-delà de la guéguerre cinquantenaire entre les universités de Rennes et Brest, je pense que ce colloque va surtout montrer le désintérêt des chercheurs français pour les études celtiques et pour la langue gauloise en particulier.

On ne peut que déplorer l'attitude officielle des élites françaises qui, à travers les décennies, ont toujours manifesté honte et suspicion envers notre passé celtique, laissant quelquefois éclater une bulle incontrôlée et irrationnelle de celtomanie, comme sous le second empire, d'autres fois cherchant à nier ou à minimiser ce passé, en cherchant à imposer la vision purement intellectuelle de Français nés d'immigrations successives dans un pays présenté comme un concept.
C'est comme un deuil qui n'aurait pas été fait, l'ensevelissement mal digéré et perpétué à travers les siècles d'une civilisation dont on veut maintenant nier l'importance. À L'intérêt des Allemands, des Américains, des Autrichiens, et de bien d'autres, pour tout ce qui concerne les Celtes, s'oppose une honte nationale de ce passé lointain, dont les manifestations hésitent entre l'ironie et le soupçon de nationalisme raciste.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 17:34
de Jacques
Agraes a écrit:L'un des buts de l'ouvrage de Patrick Galliou, L'Armorique Romaine, fut de montrer que l'ouest de la Gaule était tout à fait romanisé que d'autres régions. Ceci était aussi valable pour l'extrême ouest de la péninsule armoricaine qui avait un chef-lieu de civitas assez développé avec Carhaix/Vorgium, un vaste réseau routier et des agglomérations vivantes comme Quimper et Douarnenez.
Cette région souffrit beaucoup de la crise du IIIe siècle, c'est une certitude. Le IVe siècle nous montre quand même une persistance de l'occupation de ces villes et l'établissement des forts du Tractus armoricani. Il y avait quelque chose à défendre sur place, ou au moins ces régions avaient un intérêt stratégique.
Ce système défensif a peut être impliqué l'arrivée des premiers contingents bretons installés par l'administration romaine, à la fin du IIIe siècle. Patrick Galliou dans La défense de l'Armorique au Bas-Empire : essai de synthèse, (s.l. - M.S.H.A.B., p. 235-285, 1980), fait l'inventaire des possibles établissements de colonies de lètes, ou à vocation militaire, dans l'ouest armoricain. Des armes, fibules, boucles militaires et certains types de monnaies sont des preuves possibles de ces implantations précoces. On ne retrouve pas de caractère germanique comme c'est le cas plus à l'est en territoire vénète (nécropole de Guer dans le 56 par exemple). Il est donc légitime de penser que l'on a affaire aux premiers Bretons installés sur place. Ces Bretons auraient été souvent implantés à proximité du réseau routier, parfois 'squattant' des villae abandonnées. Pour le chercheur ils auraient été faiblement romanisés.
On fait venir le peuplement breton majoritairement de la péninsule sud-ouest de la Grande-Bretagne, du territoire des Dumnonii. Ces dumnonii étaient très peu romanisés : très peu d'agglomérations, quasiment aucune villa romaine, des établissements miniers. On a paradoxalement plus de preuve d'une culture romano-chrétienne chez leurs élites à partir du Ve siècle qu'avant cette période, de par une riche épigraphie commune à la façade atlantique de la Grande-Bretagne et d'ailleurs aussi à l'ouest de la petite Bretagne.
On a au final davantage de preuve de romanisation dans l'ouest armoricain que chez les Dumnonii. Je ne pense pas que c'est incompatible avec une survivance locale du Gaulois, et au fait de faire dériver le breton et du Gaulois et du brittonique.

Concernant les 'preuves' archéologiques de l'implantation des Bretons dans l'ouest armoricain, elles sont maigres mais pas inexistantes.
Leur caractère restreint est plurifactoriel :
- globalement assez peu de sites de l'époque fouillés et étudiés sérieusement (mais cela évolue, surtout depuis les travaux de Pierre-Roland Giot)
- des mauvaises conditions de conservations sur ces sites
- une culture matérielle qui laisse assez peu de traces, même sur les sites insulaires où les trouvailles en mobilier peuvent se restreindre à quelques fusaïoles, une lame de couteau et avec un peu de chance un tesson de céramique importée (dans une culture quasiment acéramique !) permettant de dater le tout.

Un inventaire rapide de ces preuves montre une culture commune au moins chez les élites de la façade atlantique et de l'ouest armoricain :
- l'utilisation ou la réutilisation de sites de hauteur et d'éperons barrés, le Coz-Yaudet (22) en étant l'exemple en Bretagne
- les liens commerciaux avec la Méditerannée et la Gaule, mis en évidence par la présence de céramique de type A et B pour la Méditerannée aux V-VIe siècles et de type E pour la Gaule à la fin du VIe et au VIIe siècle : un commerce d'huile et de vin, en échange de l'étain insulaire mais aussi des relations diplomatiques (tessons de type B retrouvés à Lavret et au Yaudet, tessons de type E au Yaudet et à Guissény)
- l'épigraphie avec les class-1 stones, en langue latine (et Ogham au Pays de Galles) mais associées à une onomastique mixte latine et brittonique, voire gaélique
- l'artisanat avec une trouvaille isolée (près d'un établissement gallo-romain cependant) d'une fibule pénannulaire de type Fowler G, typiquement brittonique à Créhen (22)
- les habitats ruraux, notamment l'Ile Guennoc en Landéda (29) avec un habitat fort similaire aux rounds corniques.

Merci, Agraes, pour cette contribution indispensable, et qui en appelle d'autres.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 17:46
de Sedullos
Taliesin a écrit:Concernant CJ Guyonvarc'h, son caractère particulier à l'époque où il professait à Rennes, et même ensuite...


Il a toujours eu un "caractère particulier" :wink: cela a pu lui nuire effectivement.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 17:50
de Muskull
Bonjour à tous,
Merci Agraes pour cette 'mise en situation' historique. :D
Si je me souviens bien de mes lectures de P.R. Giot, au III° siècle, nombre de grands propriétaires terriens littoraux de la péninsule avaient fuit devant les razzias saxonnes, pictes et irlandaises, et ce, certains vers la Bretagne plus sûre et encore bien protégée. Un exode des plus riches qui a sûrement touché aussi les villes qui abandonnent une forme d'habitat dispersé pour se resserrer derrière des remparts.
On peut supposer que les paysans, ouvriers et artisans restés sur place étaient moins romanisés et parlaient couramment un dialecte issu du gaulois dans une société désorganisée où il fallait réinventer douloureusement (bagaudes) un nouvel équilibre.
On peut imaginer (mais là c'est du roman :? ) que ces "édiles" réfugiés en Bretagne aient tout fait pour envoyer des soldats et mercenaires bretons protéger leurs anciennes terres. Eux aussi peu romanisés sinon leurs officiers...
Par exemple, un persan comprends le turc (actuel) parlé grâce aux racines et la communication intervient rapidement sur des sujets simples car les deux langues, très différentes, ont des mots communs et une syntaxe proche.

Bref, d'un côté il y a ce fait historique de la survie d'une langue celtique à l'extrémité de la péninsule armoricaine et de l'autre près de 2 siècles de convulsions anarchiques n'ayant laissé quasiment aucune trace écrite.

Je suis tout à fait d'accord avec toi et Thierry qu'une étude plus large de l'histoire et de l'archéologie peuvent apporter beaucoup aux études linguistiques souvent déformées par l'idéologie comme l'a démontré Jacques.

Une question pourtant: Pourquoi P.Y. Lambert s'oppose-t-il si fermement à une survie du gaulois jusqu'au IV°, V° siècle en nos pays salins et venteux ?
Il a peur du loup garum ? :s113:

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 17:55
de Sedullos
Jacques a écrit:On ne peut que déplorer l'attitude officielle des élites françaises qui, à travers les décennies, ont toujours manifesté honte et suspicion envers notre passé celtique, laissant quelquefois éclater une bulle incontrôlée et irrationnelle de celtomanie, comme sous le second empire, d'autres fois cherchant à nier ou à minimiser ce passé, en cherchant à imposer la vision purement intellectuelle de Français nés d'immigrations successives dans un pays présenté comme un concept.


A nuancer, Napoléon III est à l'origine de l'archéologie celtique scientifique : les fouilles d'Alise-Sainte-Reine par des militaires en sont la preuve manifeste.
Dans un autre registre, à titre anecdotique, faut-il accorder de l'importance à l'idée que Napoléon III aurait envisagé de déplacer la capitale de la France à Pontivy :s44: ?

Dès les années 1870-1880, ce sont les Allemands, les Prussiens honnis, qui vont mettre en place une philologie celtique de caractère scientifique et s'implanter durablement en Irlande au niveau de la recherche universitaire. C'est l'époque où règne la reine Victoria, la cousine du kaiser.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 18:12
de Sedullos
Merci Agraes pour ton message bien documenté.

Agraes a écrit:Il y avait quelque chose à défendre sur place, ou au moins ces régions avaient un intérêt stratégique.


La pression des pirates Saxons sur le littoral de la Gaule doit commencer à cette époque. Quant aux Dumnonii et aux peuples bretons de l'Ouest, les raids des Irlandais et des Pictes ont dû les toucher eux-aussi à la même époque. Il y a des souvenirs de ce type de raids dans un récit irlandais.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 18:38
de Thierry
Merci Agraes et je dirai même merci à tous....Voilà un fil bien lancé et sans aucune animosité en plus
Donc si je comprends bien, arrivée de Dumnonii dans le contexte de la fin des tourmentes du III° siècle. S'agit il uniquement de guerriers chargés de la défense du littoral ou de populations entières (des familles) ? Que connait-on de l'ampleur de cette migration ?

Et là, j'ai envie de dire, et ensuite ? Je sais, je suis gourmand.

Quid de l'impact par exp des derniers "royaumes" militaires romains à la désagrégation de l'empire ?

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 18:57
de Muskull
Thierry a écrit:
Quid de l'impact par exp des derniers "royaumes" militaires romains à la désagrégation de l'empire ?

La comparaison historique me semble simple dans la désagrégation de l'empire URSS et son analyse...
La langue russe est vite oubliée, les ruptures d'anciens circuits commerciaux créent un pagaille où les populistes trouvent leur miel.
Les 'affects' des humains changent beaucoup moins vite que les violences idéologiques qu'ils subissent.
:wink:

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 19:20
de Jacques
Muskull a écrit:Par exemple, un persan comprends le turc (actuel) parlé grâce aux racines et la communication intervient rapidement sur des sujets simples car les deux langues, très différentes, ont des mots communs et une syntaxe proche.

Euh... tu crois ? Le persan (farsi) est une langue indo-iranienne appartenant à la famille indo-européenne, alors que le turc fait partie du groupe altaïque comme le mongol.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 19:35
de Agraes
Thierry a écrit:Merci Agraes et je dirai même merci à tous....Voilà un fil bien lancé et sans aucune animosité en plus
Donc si je comprends bien, arrivée de Dumnonii dans le contexte de la fin des tourmentes du III° siècle. S'agit il uniquement de guerriers chargés de la défense du littoral ou de populations entières (des familles) ? Que connait-on de l'ampleur de cette migration ?

Et là, j'ai envie de dire, et ensuite ? Je sais, je suis gourmand.

Quid de l'impact par exp des derniers "royaumes" militaires romains à la désagrégation de l'empire ?


Le schéma proposé pour cette "première migration bretonne" allant de la fin du IIIe à la fin du Ve siècle serait celui d'établissements de colonies à vocation surtout défensive. Ce que nous montre l'archéologie serait à comparer avec les établissements de lètes germaniques dans le reste de la Gaule.
Les lètes sont des colons déplacés par le pouvoir romain. A l'intérieur de l'empire ils constituent des îlots de barbarité, conservant leurs propres coutumes, vivant avec leurs familles et mettant aussi la terre en valeur. Ils servent de force militaire irrégulière, combattant avec leurs propres armes. Ils sont aussi un important vivier de recrutement pour l'armée régulière.

Le cas de figure des Bretons serait quelque peu différent, puisqu'ils avaient un statut juridique probablement différent. En toute logique ils étaient citoyens romains depuis l'édit de Caracalla, mais ces habitants des franges de l'empire ont pu avoir un statut de gentiles, de par leurs lois "celtiques", leur langue et leurs coutumes. On peut également faire l'analogie avec l'Afrique du Nord où les chefs tribaux frontaliers ont titre militaire romain. D'autres insulaires, Irlandais (bien documentés pour les Attecotti), Pictes voire Bretons du nord ont pu être installés sur le continent à cette époque en qualité de gentiles, laetes ou deditices. Voir à ce sujet les travaux de Soazick Kerneis.

Si l'on poursuit la comparaison avec les lètes germaniques, les colons bretons auraient donc été installés pour remettre certaines terres abandonnées en valeur, défendre le pays contre des incursions barbares et fournir des hommes à l'armée romaine régulière, notamment aux forces du Tractus armoricani.

On ne saurait chiffrer avec précision les migrations bretonnes. Pierre-Roland Giot proposait tout simplement un ordre d'idée similaire aux autres grandes migrations de l'époque, à savoir une à plusieurs centaines de milliers d'individus sur une vaste zone géographique, sur plusieurs siècles.


A la fin du Ve siècle les Bretons (insulaires ou continentaux ?) semblent avoir joué un rôle très important sur l'échiquier politique de la Gaule. Fleuriot avait très bien mis en valeur ce rôle en évoquant l'expédition militaire de Riothamus contre Euric, répondant à l'appel de l'empereur Anthemius et allié aux Romains du comte Paul ou de Syagrius. La chronologie est floue cependant.
On a également la référence de Procope à la lutte des Armoricains contre les Francs de Clovis. On sait que des "soldats romains" se donnèrent aux Armoricains et aux Francs et étaient toujours constitués en unités au VIe siècle. On peut en déduire que les Armoricains pouvaient s'appuyer sur des forces suffisantes pour tenir en respect le chef franc, et il est possible que les Bretons y aient joué un rôle important.

Archéologiquement, les indices sont encore maigres mais pas inexistants. On a retrouvé en Bretagne un certain nombre de monnaies de la fin du Ve siècle, notamment des solidii et aureii de Julius Nepos et de Zénon dans les Côtes d'Armor, respectivement l'avant-dernier empereur d'Occident et empereur d'Orient dans les années 480-490. Ce type de monnaie est typiquement associé à la paye de soldats romains.


Muskull fait l'analogie avec la désintégration de l'URSS, pour la fin de la Grande-Bretagne romaine Stuart Laycock avait fait la comparaison avec l'explosion de la Yougoslavie, voir par ici :
viewtopic.php?f=3&t=4876

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 19:37
de Muskull
Jacques a écrit:
Muskull a écrit:Par exemple, un persan comprends le turc (actuel) parlé grâce aux racines et la communication intervient rapidement sur des sujets simples car les deux langues, très différentes, ont des mots communs et une syntaxe proche.

Euh... tu crois ? Le persan (farsi) est une langue indo-iranienne appartenant à la famille indo-européenne, alors que le turc fait partie du groupe altaïque comme le mongol.

Je ne fais que citer le témoignage de mon 'beau-père' iranien en un voyage d'affaire en Turquie. Il était alors prolixe sur ce propos mais c'était oral, je ne me souviens pas des détails. :?
Mais je pourrais éventuellement fixer une concordance. Mir Alisher Navaï:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mir_Alisher_Navo%C3%AF
De culture persane à été le premier à écrire de la poésie (écrire-fixer) de la poésie en turkestani mais aussi en persan.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 20:05
de André-Yves Bourgès
Les deux contributions de Benjamin sont effectivement très bien venues :D .

Agraes a écrit:A la fin du Ve siècle les Bretons (insulaires ou continentaux ?) semblent avoir joué un rôle très important sur l'échiquier politique de la Gaule. Fleuriot avait très bien mis en valeur ce rôle en évoquant l'expédition militaire de Riothamus contre Euric, répondant à l'appel de l'empereur Anthemius et allié aux Romains du comte Paul ou de Syagrius. La chronologie est floue cependant.
On a également la référence de Procope à la lutte des Armoricains contre les Francs de Clovis. On sait que des "soldats romains" se donnèrent aux Armoricains et aux Francs et étaient toujours constitués en unités au VIe siècle. On peut en déduire que les Armoricains pouvaient s'appuyer sur des forces suffisantes pour tenir en respect le chef franc, et il est possible que les Bretons y aient joué un rôle important.


Ne pas oublier la conjoncture de la seconde moitié du Ve siècle, avec la déferlante de l'arianisme qui franchit la Loire avec les Wisigoths, implantés durablement dans la cité de Tours, ce qui "coupe" la métropole tourangelle des autres cités de la IIIe Lyonnaise. La conversion au catholicisme romain de Clovis "sert" admirablement ce dernier, qui bénéficie dans sa lutte contre les Wisigoths du soutien sans réserve de l'épiscopat.

Le conflit entre les Arboryques et les Francs tourne rapidement court, au témoignage même de Procope, car après avoir éprouvé leur courage par les armes, les deux peuples constatent qu'ils sont tous les deux chrétiens et choisissent l'alliance plutôt que l'affrontement.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 02 Jan, 2010 20:16
de Muskull
Agraes a écrit:Muskull fait l'analogie avec la désintégration de l'URSS, pour la fin de la Grande-Bretagne romaine Stuart Laycock avait fait la comparaison avec l'explosion de la Yougoslavie, voir par ici :
http://www.forum.arbre-celtique.com/vie ... f=3&t=4876

Merci de t'intéresser à mes propos mais les faits historiques en Yougoslavie sont semblables effectivement et instructifs.
Je parlais de l'URSS parce que je connais un peu, en Asie Centrale du point de vue culturel et artistique "l'effet de la décomposition de l'empire. :wink:

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 13:28
de Thierry
Merci Agraes, encore une fois, il est très intéressant de lire quelqu'un de bien documenté sur cet période de l'histoire et la "singularité bretonne" si mal connue.

Tu as raison d'évoquer Soizic Kerneis que j'avais moi-même mentionnée il y a quelques années sur ce forum à propos de son travail sur l'Ancienne Loi des Bretons d'Armorique qui d'un point de vue de l'histoire du droit s'apparentait tout à fait aux autres lois "barbares" contemporaines (d'ailleurs toutes extrêmement marquées de "romanité")

La grande spécificité bretonne s'attache à cette singularité de peuplement et aussi à la résistance à l'expansion franque, pour autant, je ne peux m'empêcher de penser que cette histoire particulière ne permet pas d'expliquer en tout cas à elle seule la singularité linguistique par ailleurs

D'après ce que tu décris, l'histoire de l'implantation bretonne ne se distingue guère de l'implantation de peuples germaniques, ailleurs.

On sait en plus que l'implantation bretonne va largement déborder en réalité la Bretagne - en témoigne toutes les traces existant également notamment dans le Cotentin, voir la Normandie en général.

Pour autant les implantations germaniques et les implantations bretonnes hors extrême ouest ne donneront pas naissance à un tel particularisme linguistique, au contraire même, les peuples germaniques comme plus tard les scandinaves vont se fondre linguisitiquement dans le paysage (hors toponymie) si je puis dire....

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 15:45
de Taliesin
Bonjour à tous

selon von Wartburg, les implantations germaniques, plus importantes dans le nord que dans le sud, où les Wisigoths n'ont fait que passer, ont quand même eu un effet linguistique majeur : la coupure oïl/oc au niveau de la Loire.

Pour la spécificité bretonne, on peut avancer un argument géographique, toujours d'actualité d'ailleurs : l'éloignement par rapport aux centres de pouvoir et une situation aux marges des espaces mérovingiens puis carolingiens, un peu comme les Vascons.
Autre élément, à la fois géographique et culturel : la facilité de traverser la Manche, par rapport aux voies terrestres menant au coeur du monde franc, et donc un lien fort et continu tout au long du haut moyen âge avec le monde celtique insulaire, qu'il soit gallois, cornique ou irlandais.
La partition de la péninsule armoricaine : Ouest bretonne bretonnante et Est gallo-franque semble acquise dès le 6ème siècle et cette situation perdure jusqu'au 9ème siècle avec l'expansion bretonne vers l'Est, une ouverture encore plus grande au monde franc et un déplacement des centres du pouvoir breton vers l'Est.

Cette partition semble aussi avoir une origine politique. Léon Fleuriot a émis l'hypothèse d'un traité entre Clovis et les Bretons, accordant à ces derniers les cités des Osismes et des Vénètes, qu'ils contrôlaient déjà, et y ajoutant celle des Coriosolites. C'est probablement à partir de ce moment qu'on passe d'une émigration bretonne essentiellement militaire à une émigration de peuplement civil. Comme l'émigration militaire s'était faite sous l'égide du pouvoir romain, l'émigration civile semble se faire sous l'égide du pouvoir franc, qui entretient sans doute aussi des relations avec la Bretagne insulaire. L'alliance perdure jusqu'à la mort de Childebert en 558. Il s'ensuit une période troublée où les Bretons prennent part aux luttes intestines franques (Chramme, Clotaire) et s'entredéchirent (Budic/Maclou). Il semble qu'il y ait alors deux partis en présence en Bretagne : celui de Budic, fidèle à l'alliance franque, qui a nommé son fils Theodoric, ce qui, selon Joëlle Quaghebeur, suggère "sinon une alliance matrimoniale, au moins une alliance de fidélité avec les Mérovingiens, pouvant être justifiée par les relations nécessairement entretenues avec le pouvoir franc, dans un contexte d’installation bretonne dans les Gaules. Mais concéder ce nomen était compris comme un honneur fait au chef breton, ce dont ce dernier avait certainement conscience." Et celui de Maclou, puis de son fils Waroc, chefs du Vannetais naissant, qui brisent l'alliance et mènent des raids vers l'Est, profitant des luttes de pouvoir entre les petit-fils de Clovis. La révolte vannetaise, conjuguée aux défaites des Bretons insulaires face aux Saxons, conduisent peut-être les Francs à un retournement d'alliance : après la mort de Clotaire en 561, son fils Charibert marie sa fille Berta à Aethelbert, héritier du royaume du Kent, qui sera le premier roi saxon à se faire baptiser.