Comment Messire Lancelot du lac s’acointa premièrement de la Royne
Genièvre et fut son chevalier et elle sa dame par les moyens de Galehault.Roman de Lancelot
Lancelot embrassant Guenièvre
Centre de la France (Ahun), entre 1466 et 1470, atelier d'Evrard d'Espinques
Compilation arthurienne de Micheau Gonnot en trois volumes réalisée pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours
BnF, Manuscrits, Français 112 (1) fol. 101Dans un pré sensé être rempli d’arbrisseaux, Lancelot, Genièvre et Galehot s'éloignent des autres personnages qui, tendant un œil et une oreille, font mine de discuter. Lancelot n’osant prendre l’initiative du baiser, Genièvre lui prend le menton et lui donne un long baiser devant Galehot.
----------------- Yannick Carré dans son
Le baiser sur la bouche au Moyen-âge, Éditions Le Léopard d’Or, 1992, 437 pages, retrace pages 68 à 70 ce baiser qui, au fil du temps et des illustrateurs, deviendra de plus en plus proche et évident.
L’auteur compare et s’interroge sur les différentes illustrations ci-dessus : les différences de fond (uni/quadrillé), de paysage (absence ou présence d'éléments naturels : relief du sol, touffes d'herbe, arbres), l’éloignement des personnages, debout ou assis, leur tailles par rapport aux autres, la jambe dénudée de Lancelot...
L’élément merveilleux qui accompagne tous les romans de la Table Ronde, et en particulier
le Lancelot, était tout à fait dans la mouture de la société courtoise. Nains, frêles demoiselles et fées d’une grande beauté, psychomachie-magie, combats singuliers à répétition en surnombre, qui durent où sont terminés en un clin d'œil contre des géants, lions ou autres animaux fantastiques ou exotiques à profusion jaillissant là où on ne les attendait pas, épreuves extraordinaires et les plus invraisemblables sur des passages sur ou sous l’eau, etc., enflammaient l’imagination et en faisait un cadre indispensable à rehausser et meubler la vie de ces héros ainsi que les décalages de leurs décors, châteaux, habits, armures... de leur temps dans une histoire qui devait se passer quelques siècles auparavant.
Troubadours et cours d'amourIl est étonnant que Markale, dans ses égarements libidineux, n’ait pas fait une étude plus approfondie sur le
Pont-du-Secret qui peut tout à fait se rattacher au monde de l’imaginaire arthurien. Ce pont n'a pas non plus retenu l'attention dans le livre
Les ponts au Moyen Âge, par Danièle James-Raoul, Claude Thomasset, 2006, Presses Paris Sorbonne, 338 pages. Mais les auteurs médiévaux étaient tout aussi entendus que lus, copiés et recopiés, imités et traduits... Le
Lancelot aurait fait l’objet de plus de cent manuscrits. Ce qui laisse un petit espoir.
Jacques Lafitte-Houssat, dans son
"Troubadours et cours d'amour", Que sais-je ?, 1979, 127 pages, retrace une aventure sur autre pont par André le Chapelain, d'un chevalier de Bretagne qui n’est pas nommé et à qui est donné un baiser d’amour par une belle damoiselle dans la forêt. Sa quête de l'épervier destiné à la plus belle des dames le conduit à la cour d'Arthur. Mais en chemin l'attendent de nombreux défis :
— «
Finalement parcourant une contrée aride et sauvage, il arriva à un fleuve d’une largeur et d’une profondeur incroyable, […]
il parvient à un pont qui était disposé de la façon suivante : le pont lui-même était en or et ses deux extrémités tenaient bien aux deux rives, mais le milieu du pont se trouvait dans l’eau et, vacillant souvent, paraissait comme submergé par les flots. A l’extrémité par où arrivait le Breton, se trouvait un guerrier à cheval, d’un aspect féroce. »
De arte amundiLa sanction d'Arthur fut de condamner pour adultère Guenièvre au bûcher, mais elle finit sa vie dans un couvent ou monastère.
Plus directement aussi, le secret du pont peut probablement amener à une autre tradition qui est celle de l’existence de ces "tribunaux d’amour", assemblées d’un grand nombre de femmes mariées qui se réunissaient pour juger et réglementer l’adultère en
Règles et Cours d’Amour et qu’André le Chapelain détaille dans son
De arte amundi (De l’art d’aimer), manuscrit du XIVe siècle. Tribunaux féminins, plus sévères que redoutables, dont trente et une règles constituaient leur
Code des Cours des Dames, et qui se prononçait sur l’infidélité ou l’inconstance des amants, sur les trivialités, rivalités, rigueurs ou caprices de leurs dames, des questionnements : l’amour peut-il exister entre gens mariés ?...
J. Lafitte-Houssat, dans son "Troubadours et cours d'amour", Que sais-je ?, 1979, 127 pages, p. 118, a écrit:
Mais dans le cas où le mari était au courant, l’amour courtois se devait de garder son caractère furtif, le secret et le mystère étaient une règle essentielle ; sans eux il n’y a pas d’amour véritable. Aussi les troubadours promettent-ils tous la discrétion absolue à la belle dont ils espèrent un peu d’amour.
Les règles d’ANDRÉ LE CHAPELAIN insistent à maintes reprises sur ce secret, dont la violation entraîne la privation d’amour :
« Tous les amants sont tenus de conserver secret leur amour.
« S’ils soumettent leurs litiges au jugement des Dames, leurs noms ne doivent jamais être indiqués aux juges, mais seulement révélés une fois que le procès est terminé.
« S’ils se servent de lettres pour communiquer entre eux, qu’ils s’abstiennent de mettre leur nom. Dans ces lettres, ils ne doivent pas mettre leur sceau, à moins qu’ils en aient un qui soit connu seulement d’eux et de leur confident. »
Gérard Lomenec'h, dans son
Aliénor d’Aquitaine et les troubadours, Éditions Sud-Ouest, 1997, 190 pages, p. 83-4, reprend les aventures de ce chevalier breton chargé de ramener à la cour du roi un faucon et le code amoureux via le périlleux passage de cet autre « pont-sous-l’eau » par lequel il est, possible d’entrer mais avec grandes difficultés au Royaume d’Amour.
Sur une perche d’or, où veillait le faucon, était accroché à une petite chaîne d’or un parchemin où était écrit les XIII préceptes du cœur :
« Le mariage n’est pas une excuse contre l’amour.
Qui ne sait celer (1), ne peut aimer. […]
« Tout amant ne doit désirer d’autres baisers que ceux de sa maîtresse. […]
« Rien n’empêche qu’une femme ne soit aimée de deux hommes, ni qu’un homme soit aimé de deux femmes.1 - Qui ne sait sceller (cacher ou garder le secret), ne peut aimer.