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Wace et les [i]usements et coustumes de Brécelien[/i]

MessagePosté: Sam 15 Oct, 2005 12:56
de Taliesin
Voici deux textes concernant la fontaine de Barenton. Le premier est l'oeuvre de Wace et est extrait du Roman de Rou (commencé après 1160). Le second est extrait de l'édition du cartulaire de Redon par Aurélien de Courson (1863) ; il s'agit du titre 10 des usements et coustumes de la forêt de Brécelien , manuscrit du 30 août 1467 écrit au château de Comper par ordre du comte de Laval.
Si Wace est assez vague quant à la localisation de Brecheliant (en Bretaigne), le second texte ne laisse aucun doute : il s'agit de la forêt de Paimpont

Wace, Roman de Rou

E cil devers Brecheliant,
Donc Breton vont sovent fablant,
Une forest mult longue et lee,
Qui en Bretaigne est mult loee.
La fontaine de Berenton
Sort d’une part lez un perron.
Aller soleient veneor
A Berenton par grant chalor,
E a lor cors l’eve espuisier
E le perron desus moillier.
Por co soleient pluie aveir ;
Issi soleit jadis ploveir
En la forest e envirun,
Mais jo ne sai par quel raison.
La seut l’en les fees veeir,
Se li Breton nos dient veir.
E altres merveilles plusors,
Aires i selt aveir d’ostors
E de granz cers mult grant plente ;
Mais vilain ont tot deserte.
La alai io merveilles querre,
Vi la forest e vi la terre,
Merveilles quis, mais nes trovai,
Fol l’en revinc, fol i alai,
Fol i alai, fol m’en revinc,
Folie quis, por fol me tinc.



Titre 10 des usements : de la décoration de la dicte forest et des merveilles estans ycelle :

« …Item auprès du dit breil, il y a un breil nommé le breil de Bellanton, et auprès d’yceluy, il y a une fontaine nommée la fontaine de Bellanton…[…] Item joignant la dite fontaine, il y a une grosse pierre qu’on nomme le perron de Bellanton, et toutes les fois que le seigneur de Montfort vient à ladite fontaine, et de l’eau d’icelle arrose et mouille le perron, quelque chaleur, temps sur de pluie, quelque part que le vent soit, soudain et en peu d’espace, plutôt que le dit seigneur n’aura pu recouvrer son chasteau de Comper, ains que soit la fin d’iceluy jour, plera en pays si abondamment que la terre et les biens estant en icelle en sont arrousées, et moult leur profite. » (Aurélien de Courson, Cart. Redon, Prolégoménes, p. CCCLXXXVI)

Même si le passage de Wace est antérieur de trois siècles aux usements de Brécelien, j'ai du mal à croire qu'un recueil de coutumes ait pu prendre modèle sur un écrivain : la coutume existait certainement déjà à Paimpont du temps de Wace.

Il semblerait bien que certains rituels celtiques, utilisés par la littérature arthurienne, avaient cours en forêt de Paimpont bien avant la vague celtomane du 19ème siècle.
Est-ce qu'on mouille le perron des fontaines dans d'autres forêts bretonnes ?

MessagePosté: Sam 15 Oct, 2005 19:40
de Muskull
Ben voilà de quoi réveiller notre Jean Claude qui était tout tristou à l'approche de Miz Du. :wink:

Mais sans rien entamer d'un débat qui s'avère passionnant et passionné, je pense que le rituel d'arroser la "pierre de seuil" d'une fontaine doit être d'une forme très ancienne d'appel à la fécondité.
Pan dirait "qu'il faut mouiller le puits pour que l'acte de fertilisation fonctionne". :D
Kss, kss Pan ! :132:

MessagePosté: Sam 15 Oct, 2005 22:42
de Taliesin
est-ce que ce genre de rituel était réservé au roi ?

parce que, entre Judicaël, roi de Domnonée, qui résidait à Saint-Méen, et Salomon, qui fut enterré à Plélan, la forêt de Paimpont était bien pourvue en arroseurs de haut rang.

MessagePosté: Dim 16 Oct, 2005 16:00
de Muskull
Bonjour Taliesin,

Dans une conception mythologique où le dieu du ciel (Taranis) est l'ancien "dieu de l'orage du ciel", le "Fendeur" qui fait jaillir les sources, par déclinaison "le fendeur des matrices" dans une idéologie I.E., il est logique que le roi (son représentant terrestre) localise le rite de fertilité.
Mouiller une pierre est une façon de lui faire refléter la lumière du ciel et de rénover "l'alliance".
Ce qui est intéressant dans les légendes est que celà fait tonner le ciel, venir l'orage et survenir le chevalier noir. L'ombre que le chevalier, substitut du roi, doit affronter et vaincre. Esus ? Le ki du (chien noir) n'est jamais loin :wink:

Que ce rite ait été conservé dans les annales en ce qui concerne Paimpont est signifiant mais n'empêche pas que d'autres rois en d'autres sources reines et medianes ne l'aient pas suivi.

Muskull mediateur en l'occurence. :D

MessagePosté: Dim 16 Oct, 2005 17:23
de Taliesin
Salut Muskull,

et merci pour ces précisions. Que d'autres rois ou seigneurs aient observé ce rituel à d'autres sources reines dans le monde celtique ou ailleurs, je n'en doute pas, mais ce qu'il faudrait savoir, c'est de quel rituel et de quelle source parle Wace, puis, après lui, Chrétien de Troyes.

D'où venaient les "Bretons qui vont sovent fablant" et qui semblent être les informateurs de Wace, ce qui l'a amené à aller vérifier sur place ?
Qui étaient ces Bretons que Wace aurait pu rencontrer en Angleterre et en Normandie, ou même à Jersey, dont il est originaire ?
le contingent breton qui prit part à la conquête de l'Angleterre venait essentiellement du nord de la Haute-Bretagne : Dol, Dinan, Lamballe, Fougères, et...Gaël.

Très peu de Cornouaillais sont allés en Angleterre.

Quant à Chrétien de Troyes, on ne sait pas grand-chose de sa vie ; il a probablement été une ou deux fois en Angleterre, probablement aussi à Nantes, où le couronnement de Geoffroy Plantagenêt en 1169 lui servit de modèle pour le mariage d'Erec et Enide, mais rien ne dit qu'il ait mis les pieds à Paimpont ou ailleurs.

En tout cas, lorsqu'il rédige Yvain et le chevalier au lion, il se trouve certainement à Troyes.

MessagePosté: Dim 16 Oct, 2005 18:58
de Muskull
D'où venaient les "Bretons qui vont sovent fablant"

Il me semble qu'au XII° siècle ce ne peut être que des armoricains. :wink:
C'est vrai que les puissants accordaient leurs subsides aux abbayes normandes plutôt qu'à celles de Cornouailles (Giot) et c'est donc vrai que les Osismii étaient, encore en ces temps, les plus éloignés.
Les fableurs bretons (bardes ?) plus promps à l'éloge des puissants qu'à la perduration des traditions spirituelles, évoquaient donc le "domaine sauvage" le plus proche de leurs "mécènes".

Cela nous fait revenir au mythème de la forêt sauvage "peuplée" de Lailokens, de Merlins fous, de Lancelots égarés. Forêt que tente de rédimer Esus sur le pilier des nautes parisi.
Qu'est cette folie qui vient dans la transgression d'arroser le perron des fontaines ; de son eau ou de son sang ?

MessagePosté: Dim 16 Oct, 2005 21:24
de Taliesin
Les Cornouaillais ont quand même eu un rôle non négligeable dans la transmission de la matière de Bretagne : en 1066, Hoël de Cornouaille devient duc de Bretagne, et même s'il ne contrôle effectivement que la partie méridionale du duché, de Landévennec à Nantes, il y a des contacts fréquents avec l'Anjou et le Poitou, ou plutôt, il y a continuité de ces contacts, qui sont déjà anciens.

Quant aux Hauts-Bretons, on les retrouve pratiquement partout où la légende arthurienne se diffuse oralement, bien avant les romans arthuriens, et surtout les Dolois : Normandie, Maine, Blois, Chartres, Italie, et bien sûr Angleterre, mais là, il faut tout de même tenir compte des Bretons insulaires, avec lesquels les relations n'ont d'ailleurs pas cessées, d'une Bretagne à l'autre.

Enfin, la diffusion de cette matière celtique a du se faire au départ en même temps et dans le même sens que la colonisation bretonne, c'est-à dire d'ouest en est. Ce qui fait qu'en 1066 (et même avant), les Bretons du nord-est en savait autant que leurs copains de Cornouaille et du Léon. Bizarrement (ou logiquement), c'est au moment ou la langue bretonne commence son recul que la matière de Bretagne se diffuse vers la Normandie et les pays de Loire.
Et c'est dans la région de Paimpont que cette langue se maintiendra le plus longtemps en Haute-Bretagne, ce qui tendrait à prouver qu'elle y ait arrivé de bonne heure.

Pour ce qui concerne la forêt sauvage celtique de Merlin et autre Lailoken, il y aurait un rapprochement assez intéressant à faire avec le concept médiéval de la forêt-désert, et la vague érémitique qui se développe dans les "forêts-frontières" entre Bretagne, Maine et Anjou vers la fin du 11ème siècle. Même si le modèle de ces ermites, d'Arbrissel et consorts, étaient les Pères d'Egypte plutôt que les anachorètes celtes, leur mouvement a vraisemblablement eu une influence sur les écrivains courtois, puisqu'on les retrouve fréquemment dans les romans. Tentative de christianisation de l'homme sauvage ?

MessagePosté: Mer 19 Oct, 2005 16:57
de Muskull
Pour ce qui concerne la forêt sauvage celtique de Merlin et autre Lailoken, il y aurait un rapprochement assez intéressant à faire avec le concept médiéval de la forêt-désert, et la vague érémitique qui se développe dans les "forêts-frontières" entre Bretagne, Maine et Anjou vers la fin du 11ème siècle. Même si le modèle de ces ermites, d'Arbrissel et consorts, étaient les Pères d'Egypte plutôt que les anachorètes celtes, leur mouvement a vraisemblablement eu une influence sur les écrivains courtois, puisqu'on les retrouve fréquemment dans les romans. Tentative de christianisation de l'homme sauvage ?


C'est un sujet complexe. Les analystes pensent en effet que l'érémitisme irlandais et gallois découle de l'influence, par les traditions chrétiennes, des pères du désert égyptiens. Mais on peut tout de même se poser la question de "cette forme de spiritualité a si bien "prise" car elle était antécédante", c'est de domaine du possible bien que l'on ait aucune source textuelles ou archéologiques.
La "matière" idéologique est très lente en évolution, hormi superficiellement comme certains effets de "fanatisme". Là nous sommes dans la durée et des floraisons incroyables. A mon sens la logique voudrait qu'une forme d'érémitisme celtique en Irlande et Galles ait utilisé les courants chrétiens pour diffuser leurs connaissances.
C'est possible et logique mais je n'ai aucun moyen de l'affirmer.

En ce qui concerne les oeuvres "courtoises", il y a certes une grande influence de la "matière bretonne" mais aussi celle des troubadours inspirés par une certaine forme de la mystique musulmane ibère. Les dits de Majnoun et Laîla semblent avoir frappé les esprits occidentaux de l'époque. Du moins, il me semble... :wink: