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Les deux Tristan

MessagePosté: Sam 30 Juil, 2005 17:27
de Taliesin
Bonjour les gens :D !


Avant de parler de Tristan, je voudrais, comme promis il y a déja un bon moment, vous en dire un peu plus sur le mystérieux roi de Bretagne Arastagnus :

Dans le Codex Calixtinus, manuscrit composé à Compostelle vers 1150-1160, on trouve mentionné plusieurs fois un certain roi de Bretagne, nommé Arastagnus.
Le Livre de saint Jacques (dont le Codex Calixtinus est le plus ancien manuscrit) comprend cinq opuscules :

- Livre I : anthologie de pièces liturgiques en l’honneur de l’apôtre : panégyriques, sermons, offices, hymnes.
- Livre II : livre des miracles de l’apôtre
- Livre III : livre de la translation des reliques du saint
- Livre IV : Chronique de Turpin
- Livre V : Guide des pèlerins

Le nom d’Arastagnus est mentionné trois fois dans la Chronique de Turpin ou Pseudo-Turpin. Le pseudo-Turpin, qui fit en France la renommée de Compostelle, est vraisemblablement né à l’abbaye de Saint-Denis en 1119, d’une collaboration entre les tenants du roi de France, les chanoines de la cathédrale galicienne et le nouveau pape bourguignon, Calixte II. Ce n’est que postérieurement que le pseudo-Turpin fut inclus dans le Codex Calixtinus. Cette chronique conte les aventures de Charlemagne, de Roland et de leurs preux en Espagne, et leurs combats contre les Maures. Arastagnus est l’un des compagnons de Roland. Voici les trois mentions du Turpin :

“Arastagnus, rex Britannorum, cum septem milibus virorum bellatorum. Alius tamen rex tempore istius in Brittannia erat, de quo mencio nunc ad plenum non fit”.

“ex alia Arastagnus cum suo”.

“et Arastagnus rex Britannie [...] Oellus comes apud Nantas, urbem suam, cum aliis multis Britannis sepelitur”.

Et celle du guide des pèlerins, qui invite à visiter le tombeau des compagnons de Roland :

Item in landis Burdegalensibus, villa que dicitur Belinus, visitanda sunt corpora sanctorum martirum : Oliveri, Gandeboldi regis Frisie, Otgerii regis Dacie, Arastagni regis Brittannie, Garini ducis Lotharingie,…..

De même dans les landes de Bordeaux, dans une petite ville appelée Belin, on doit rendre visite aux corps des saints martyrs Olivier, Gondebaud, roi de Frise, Ogier, roi de Dacie, Arastain, roi de Bretagne, Garin, duc de Lorraine,….

On remarque aussi la présence de Hoël, comte de Nantes, c'est-à-dire soit Hoël 1er (953-990), soit Hoël II (1066-1084), tous deux issus de la lignée des princes de Cornouaille.

Mais ce n’est pas tout : Arastagnus est mentionné aussi, sous différentes formes, dans des œuvres en langue romane :

Chanson d’Agolant :

“Rois Arestanz ot le conte Engolier / Et de Boorges Lambert le Bernier / Firent la tierce o .x. mile chevalier”

Dans un poème de Raimond Miraval :

“per so m’era derriers / De totz los autres mes, / Que mon loc nom tolgueq / Rotlands ni Oliviers, / Ni ges Orestains ni Augiers / No cugera que s’i mezeo”

Dans un planh (complainte funèbre) de Bertrand de Born sur la mort de Geoffroy II, duc de Bretagne, où abondent les allusions aux héros épiques : Raoul de Cambrai, Estout de Langres, Oristain, Guill. d’Orange.

Dans la Chronique dite saintongeaise : « Arastainx, li roi de Bretagnie ». Cette chronique dérive du Turpin.

Dans les Gesta Karoli Carcassonam et Narbonam : Torestan en provençal, Torestagnus, Torrestagnus en latin, est présenté comme le frère de Salomon de Bretagne : « Salamon de Britania et Torestagnus, frater eius / Salamo de Bretanha e Torestan, frayre de luy »

Dans le Ronsasvals sont mentionnés : Estout de Lingres, Arrestat e Augier e Salamon de Bretanha lo bier ;

On retrouve aussi sa trace en Bretagne, mais dans des œuvres plus tardives :

Dans la Genealogie des roys, ducs et princes de Bretaigne de Pierre le Baud (15ème siècle) :

“[f° 8r°] […] Et en apres, au temps du roy Charles empereur, fut roy de Bretaigne Arrastanus, lequel, scelon la Cronicque Turpin, archevesq(ue) de Reims, acompaigna ledit empereur a la conqueste d’Espaigne et mourut a Roncevaulx avec les autres princes de l’ost, par la traïson Gannes le proditeur. Et nonobstant y avoit adoncq ung autre roy en Bretaigne, ainsi que ledit Turpin rapporte. Mandonus ap(rè)s y regna, qui fit bataille pour sa liberté co(n)tre Charles, connestable de l’empereur Loys, filz dudit Charles le Grant, en laquelle il mourut.”

Après Mandonus, Le Baud place Nominoë. Sa source, comme il le dit lui-même, est la Chronique de Turpin.

Dans les Grandes croniques de Bretaigne d’Alain Bouchart (1514) :

“Charlemaigne donna à Arastagnus roy de Bretaigne, pour remunerer luy et ses Bretons des services qu’ilz avoient faiz en celle conqueste, le royaulme de Navarre et toute la terre des Basques à toujourmais, dont il ne jouyst guerres de temps car bien tost aprés il fut tué en la bataille de Roncevaulx, comme il sera dit cy aprés.”

Lui aussi a puisé à la Chronique de Turpin. Dans sa liste des rois bretons, qui commence avec Conan Meriadec, il place Arastagnus après Daniel et avant Machonus (le Mandonus de Le Baud), Neomenius (Nominoë), Heruspogius (Erispoë) et Salomon.

Dans la vie de saint Jaoua, par Albert le Grand (Les vies des saints de la Bretagne Armorique, 1636), on trouve plusieurs mentions d’Arastagnus :

“Il y avoit, en ce temps là, un riche & puissant Seigneur en Cornoüaille, lequel demeuroit d’ordinaire en un Chasteau, nommé Kerarroüé, bon Chrestien & bien-faicteur des Moynes & Ecclesiastiques, & s’appelloit Arastagn.”

“La bonne Dame, mere du nouveau converty, depescha en poste à Kerarroué, vers Arastagn son frere, pour luy porter la nouvelle de la conversion.”

“il resigna sa Recteurie de Brasparz & son Abbaye de Daoulas à Tusveanus, fils d’Arastagn.”


Albert le Grand indique que pour composer sa vie de saint Jaoua, il a utilisé deux manuscrits différents, l’un étant un inventaire de traditions. Il décrit Arastagnus comme étant un seigneur de Cornouaille, comte et prince, dont le neveu, seigneur du Faou, fut l’ennemi de Saint Paul Aurélien. Arastagnus avait également un fils, Tusveanus, qui fut abbé de Daoulas et recteur de Brasparts (Monts d’Arrée) après Jaoua, lorsque celui-ci remplaça saint Paul comme évêque de Léon. On retrouverait le nom de Tusveanus dans la chapelle de Saint-Usven à Ploudalmézeau.

Revenons maintenant à Tristan. Si j’ai intitulé ce fil : les deux Tristan, c’est parce que son nom se recontre sous deux formes différentes :

Dristan, Diristan, Drystan, Trystan dans les récits et triades gallois. Tristan dans les romans français.

Trestan, Trestain, Torestannus, qui est la forme vernaculaire bretonne armoricaine : Trestan dans le Cartulaire de Quimperlé, Guillin Trestan, nom d’homme en 1334 à Hennebont, Insula Trestanni pour l’île Tristan de Douarnenez en 1368, mais Isle Trestain en 1351.

La forme Tristan représentant la prononciation Tröstan est une forme écrite plutôt galloise. transmise aux écrivains étrangers par l’écriture. Dès le 9ème siècle, on prononçait Dröstan, Tröstan, et on écrivait Dristan, Tristan. Cette forme remonte à un vieux brittonique Drustãno- commun à tous les Brittones. La forme bretonne armoricaine correspondante est Trestan. (J. Loth)

On connaît l’inscription latine de Fowey, datée du 6ème siècle, qui mentionne le nom de Drustan :

dRVSTANVS HIC IACIT CVNOWORI FILIVS

Supposons que le « d » minuscule ait été lu « A », de même que le premier « V », on aurait :

ARASTANVS HIC IACIT CVNOWORI FILIVS

Et si on rapproche certaines formes entre elles :

Trestain / Arastainx / Orestains / Oristain

Trestan / Arestanz / Torestan / Torestagnus / Arestat

A partir du nom picte Drostan, vieux brittonique Drustãno-, on a donc trois graphies différentes : Tristan au pays de Galles, forme qui aurait été transmise aux écrivains anglo et franco-normands à partir de textes rédigés par des gallois (comme Breri par exemple, source avouée de Thomas), Trestan et Arastagnus en Bretagne continentale, les différentes formes du nom d’Arastagnus se retrouvant en grande majorité dans les chansons de geste, alors qu’elles sont absentes des romans courtois, de même qu’Iseult n’est jamais liée à Arastagnus.
A noter tout de même qu’on trouve les deux noms (Tristan/Orestain) dans la poésie des troubadours, mais là encore, il n’y a pas de lien direct entre les deux : l’un est rattaché à Iseult et la légende celtique, l’autre aux compagnons de Charlemagne.
Les deux noms apparaissent en même temps ou presque dans la littérature médiévale : 1135 pour la première mention de Tristan par le troubadour Cercamon, un peu plus tôt (1119) pour Arastagnus dans le Pseudo-Turpin.

Enfin, Arastagnus est mentionné plusieurs fois soit en compagnie de Salomon, soit d’Hoël, soit des deux à la fois. Il est même présenté comme le frère de Salomon. Salomon eut effectivement un frère, nommé Rivelen, mais surtout, il était le fils de Riwallon, lui-même frère ou beau-frère de Nominoé.
Or, Rivalin, Rivalen, Rivoalen est le père de Tristan chez Eilhart d’Oberg, dont l’œuvre dérive de celle de Béroul, et chez Gottfried de Strasbourg, qui traduit Thomas d’Angleterre. Eilhart comme Gottfried font également le récit d’une bataille devant Karahès, à laquelle participe Tristan comme chef de guerre, et où s’affrontent le roi Hefelin et son vassal, le comte Riol de Nantes. Le roi Hefelin et son fils Kéhénis (Kaherdin) sont assiégés dans Karahès par Riol. Hefelin correspond au prénom breton Hoël.

On a d’un côté : Tristan/Rivalen/Hoël, et de l’autre Arastagnus/Salomon/Hoël. Les traditions sur Tristan/Arastagnus apparaissent donc fortement liées à la famille royale de Poher, dont sont issu les comtes de Cornouaille. Or, cette lignée de Cornouailles accède au pouvoir ducal en 1066, par Hoël II. Hoël, comme son fils Alain IV Fergant étaient bilingues, et Alain épousa d’abord Constance, la fille de Guillaume le Conquérant en 1086, puis Ermengarde d’Anjou, fille de Foulque le Réchin, qui avait été mariée à Guillaume le Troubadour, et répudiée par lui en 1092. On peut supposer que la lignée de Cornouaille a donné une certaine impulsion à la transmission orale, puis écrite, des traditions et légendes brittoniques, encore que cette transmission semble bien être plus ancienne, puisqu’en anthroponymie, on trouve les prénoms Torestennus, entre 1040 et 1055 en Anjou, Torestainus en 1053 à Lucera (Pouilles), Trostainus en 1082 à Mileto (Calabre). Tous trois sont des formes bretonnes continentales. Les deux derniers ont certainement été transmis par les Bretons qui ont accompagné les fils de Tancrède d’Hauteville en Italie du Sud et en Sicile. On peut rapprocher la présence de ces anthroponymes en Italie du Sud de celle de la mosaïque d’Otrante, qui montre le roi Arthur assis sur un bouc ou une chèvre, et luttant contre un chat monstrueux, le chat Palu des triades galloises, ou encore de la légende populaire recueillie oralement entre 1183 et 1189 en Sicile par Gervais de Tilbury, légende qui place le tombeau d’Arthur sous le mont Etna.

MessagePosté: Sam 06 Aoû, 2005 15:28
de Taliesin
Pour recouper le fil Douglas/Daoulas sur la fausse étymologie Daou-gloaz (deux plaies), voici un extrait tiré du livre de Joëlle Quaghebeur "La Cornouaille du 9ème au 12ème siècle - mémoire, pouvoirs, noblesse", p. 345, note 442 :

"La vita de saint Jaoua, extraite d'un ancien office de Jaoua en usage à la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, et d'un manuscrit écrit par l'un des chanoines de cette église, Yves le Grand. Il y était raconté que, vers 510, un puissant seigneur nommé Arastagn avait un neveu seigneur du Faou; celui-ci, averti que plusieurs supérieurs de monastères de Cornouaille devaient se rassembler près de chez lui, et parmi eux l'abbé Tadecq, l'abbé Judulus et le moine de Landévennec Jaoua, se rendit à cette réunion, tua Tadecq à l'autel et massacra les autres moines. Jaoua se réfugia chez l'évêque de Léon, son oncle. Tous deux revinrent au Faou et, convertissant le seigneur, l'obligèrent à fonder un monastère au lieu du meurtre. Ils le nommèrent Mouster Daou-glas, le monastère des deux assassinés ; Jaoua en devint l'abbé."

Yves le Grand est une des sources de Albert le Grand pour sa Vie de saint Jaoua. Il mentionne dans ses sources les "recherches et memoires de l'Evesché de Leon, par Noble et Discret Yves le Grand, chanoine de Sain-Paul de Leon, recteur de Plouneventer, Aumosnier et Conseiller du Duc Français II, l'an 1472."
Son autre source est le Bréviaire de Léon de 1516, où n'apparaît ni le nom d'Arastagn, ni celui de Tusveanus.
(cf. Bernard Tanguy, La Vie de saint Jaoua d'après Albert le Grand, Corona Monastica)

Premier problème : l'abbaye de Daoulas a été réellement fondée entre 1167 et 1185, la construction de l'église a commencée en 1167, et celle de l'abbaye en 1173.
Second problème : les seigneurs du Faou ne sont pas attestés avant le début du 11ème siècle.

Mais il pourrait quand même y avoir un peu d'histoire derrière ce double assassinat :

Première hypothèse :

"En 1163, le comte Hervé de Léon et son fils Guihomarch, avaient été capturés "par ruse" par le vicomte du Faou assisté de son frère et de son fils. Hervé avait été gardé prisonnier dans la forteresse de Châteaulin - dont avaient la charge les vicomtes du Faou - nid d'aigle redoutable. L'évêque Hamon, le fils d'Hervé, vint en faire le siège avec ses milites et les Léonards. Il fut aidé par le duc Conan IV. Libérés, les deux Léonards firent enfermer le vicomte du Faou, son frère et son fils, dans leur château de Daoulas où ils périrent de faim et de soif." (La Cornouaille du 9ème au 12ème siècle, p. 376)

Seconde hypothèse :

"Guihomarch s'était tristement illustré en 1171, par l'assassinat de son frère Hamon, évêque de Léon et probable partisan du duc Conan IV. Prosper Levot ("Daoulas et son abbaye", 1877) suggéra qua la fondation monastique de Daoulas par Guihomarch fut une forme d'expiation pour le meurtre de son frère." (ibid. p. 347-8 )

"Le meurtre de Tadecq et de Judulus ne manque pas d'évoquer ceux de Thomas Becket, archevêque de Cantorbury, et de Hamon, évêque de Léon, inspirés respectivement par Henri II Plantagenêt et Guihomarch IV, vicomte de Léon et propre frère de la victime, le premier, le 29 décembre 1170, le second, le 25 janvier 1171. [...] A l'instar du seigneur du Faou dans le Vie, ce fut, de toute évidence, en expiation du meurtre de son frère que, deux ans plus tard, Guihomarch fonda, en faveur des chanoines de saint Augustin, l'abbaye de Daoulas"(Bernard Tanguy, La Vie de saint Jaoua d'après Albert le Grand, p. 98-99)

Mais tout cela ne nous dit pas qui pourrait être Arastagn, oncle du seigneur du Faou....
J'étudie d'un peu plus près les liens familiaux entre les seigneurs du Faou et la maison comtale, puis ducale de Cornouaille, et je reviens... :wink:

MessagePosté: Sam 06 Aoû, 2005 22:05
de Romaric
:shock: Et ben dis donc ! J'ai pas eu le courage de tout lire mais ce que j'ai lu était trés intéréssant ! merci beaucoup a toi ! :D

MessagePosté: Mar 16 Aoû, 2005 8:53
de Patrice
Salut,

Ton travail est très intéressant mais j'avoue avoir du mal à faire le lien entre Arastagnus et Tristan... Ce sont deux noms quand même très éloignés.

A+

Patrice

PS: par contre c'est vrai qu'il y a un sacré travail à faire sur Arastagnus. Est-ce réellement un personnage historique, ou un nom qui se balade d'une oeuvre littéraire à l'autre, comme cela est fréquent avec les personnages des chansons de geste?

MessagePosté: Mar 16 Aoû, 2005 12:01
de Leucobena

MessagePosté: Mar 16 Aoû, 2005 13:32
de Taliesin
Bongiorno ! :D

Drustagnus / Arastagnus, c'est quand même pas si loin que ça, mais il y a mieux :

Torestagnus, dans les Gesta Karoli Carcassonam et Narbonam, personnage qui a exactement le même rôle qu'Arastagnus dans le Turpin, et là, on est quand même très proche du Trestan de Douarnenez. A rapprocher aussi du Torestennus qui est mentionné dans les actes de comtes d'Anjou entre 1040 et 1055, et traduit "Tristan" par Halphen.

Autre piste, donnée par Schneegans, dans son édition des Gesta : un nommé Rotstagnus, comte de Gerona, a combattu à Barcelone vers 801-803, ou un Rodestagnus en 782, vassal de Charlemagne. Comme je ne suis pas sûr du tout de mon allemand, je mets le texte original :

"Ein Rotstagnus, Graf von Gerona, kämpft vor Barcelona a. 801. 803. (Vita Hludowici imperatoris). Die Form Rodestagnus « vassus dominicus » Karls der Grossen, in einer Urkunde a. 782 (zu Gunsten Daniels, Erzbischof v. Narbonne) v. Histoire général du Languedoc, II, Preuves 47."

Mais, dans ce cas, on revient au même problème : comment rapprocher Arastagnus de Rotstagnus ou Rodestagnus ? Et quel est le lien avec la Bretagne (dans les Gesta, Torestagnus est frère de Salomon de Bretagne)


Quant à savoir si c'est un personnage historique....Le problème, comme d'hab, c'est que les sources bretonnes sont tardives (la date de 510 est donnée, à mon avis, uniquement pour démontrer l'ancienneté de la fondation de l'abbaye de Daoulas), les sources écrites sont plus récentes que le Turpin, où apparaît le nom d'Arastagnus pour la première fois. Un esprit hypercritique pourrait donc dire qu'Albert le Grand, ainsi que ses sources, se sont inspirés du Turpin comme l'a fait Le Baud. D'ailleurs, Bernard Tanguy se demande d'où vient ce nom, qui ne lui semble pas d'origine bretonne (voir Corona Monastica, p. 97).
Je tiens le rapprochement Drustagnus/Arastagnus d'Hervé ar Bihan, dans ses cours de littérature celtique ancienne.

De toute façon, histoire ou légende, Arastagnus ou Tristan, on se retrouve quand même en Cornouaille.

Sinon, il y a un autre personnage légendaire de Cornouaille, qui apparaît à la fois dans les chansons de geste (chanson d'Aspremont, où il est compagnon de Roland) et la littérature arthurienne : c'est Gradlon.

MessagePosté: Mar 16 Aoû, 2005 16:31
de Patrice
Gare aux rapprochements phonétiques médiévaux.

Nos bons auteurs sont des champions pour ça.
Et dans ce cas, tu pourrais rajouter à ta liste le nom de Tortain et toutes ses variantes (Torten, Cortain, Courtain, Costans).

C'est le demi-frère sanglier de Caradoc de Vannes. Il est né d'une truie et du sorcier Eliavrès. C'est en fait la version française du Twrch Truith.

Le rapport avec Tristan? Mais Tristan n'a-t-il pas été le porcher du roi Marc?


:D

A+

Patrice

MessagePosté: Mar 16 Aoû, 2005 17:22
de Taliesin
Il y a d'autres fausses pistes, comme celle de la famille normande des Goz :

Richard, vicomte d’Avranches dès 1055, est le fils de Torsting Goz, vicomte de 1017 à 1025, d'origine scandinave, et dont le prénom provient sans doute du dieu Thor.

Or, dans un acte tiré des archives de Marmoutiers, de l'époque de Guillaume 1er de Normandie, et recopié par Dom Morice (Preuves, I, 471) on trouve comme témoin : Richardi filii Torestini. il ne fait pratiquement aucun doute qu'il s'agit bien de Richard, fils de Torsting, les autres signataires sont pratiquement tous Normands, avec quelques Bretons, comme Main de Fougères, donateur dans l'acte, ou Hugo Brito.

Il y a aussi un certain Toustain, cité par Guillaume de Jumièges (Histoire des Normands, p. 245-248) :

"Toustain, surnommé Scitelle, qui s’était distingué par toutes sortes d’exploits, fut le premier chef des Normands de la Pouille, lorqu’ils étaient encore, comme étrangers, à la solde de Waimar, duc de Salerne. Entre autres actes de courage, il enleva un jour une chèvre de la gueule d’un lion, ensuite il saisit à bras nus le lion lui-même, furieux de se voir ravir la chèvre, et le jeta par-dessus le mur du palais du duc, comme il aurait jeté un petit chien. Les Lombards remplis de haine contre lui, et désirant sa mort, le conduisirent en un certain lieu où habitait un énorme dragon, au milieu d’une grande quantité de serpents, et dès qu’ils virent venir le dragon, ils se sauvèrent en toute hâte. Or Toustain, qui ignorait leurs projets, voyant fuir ses compagnons, demandait avec étonnement à son écuyer pourquoi ils s’étaient sauvés si vite, lorsque tout à coup le dragon, vomissant des flammes, s’avança vers lui, et porta sa gueule béante sur la tête de son cheval. Mais le chevalier tirant son épée, en frappa l’animal avec vigueur et le tua, mais lui-même, empoisonné par son souffle vénéneux, mourut trois jours après. Chose étonnante à dire ! la flamme qui jaillissait de la gueule du dragon avait en un moment entièrement consumé son bouclier."

Toustain serait une variante de Tostain : Nom porté dans le Calvados (variante Tostin) et plus généralement en Normandie. C'est un nom de personne d'origine scandinave, Thorsteinn, formé sur Thor (dieu du tonnerre et de la pluie) et steinn (= rocher). Autres variantes : Toutain, Totain.
On retombe donc sur Torsting.

Du coup, je commence à avoir des doutes sur le Torestennus de Saumur, et les Trostain, Torestainus d'Italie du Sud :cry:

Enfin, Toustain, comme Tristan, est un pourfendeur de dragons...

On pourrait peut-être se demander si la racine picte Drost- n'a pas la même signification que celle scandinave de Thor-
Sans compter que les Scandinaves stationnés en Ecosse et en Irlande, et dont certains sont arrivés ensuite dans le Cotentin, connaissaient déjà probablement le nom de Drostan.
Un vrai sac de noeuds !
:D


Sinon, concernant à nouveau Drustagnus/Arastagnus, je me suis peut-être mal exprimé, mais l'hypothèse n'est pas basée sur un rapprochement phonétique, plutôt sur une mauvaise lecture. Il me semble qu'il est plus facile de confondre les deux noms à l'écrit qu'à l'oral.

Détail qui pourrait être intéressant : si l'auteur des Gesta Karoli Magni ad Carcassonam et Narbonam est un certain Guillermus Paduanus, moine de La Grasse près de Carcassonne, son texte original latin a été copié après 1272 par un autre moine de la même abbaye, Guillermus Brito. Son manuscrit, dit de Florence, est d'ailleurs l'un des deux manuscrits latins qui ont été conservés, et le plus ancien. (si j'ai bien compris les commentaires en allemand de l'éditeur)

MessagePosté: Jeu 18 Aoû, 2005 15:21
de Taliesin
On peut aussi se demander quelles sont les sources de la Chronique de Turpin, qui est le document écrit le plus ancien où il est fait mention d'Arastagnus, présenté à chaque fois comme roi de Bretagne.

Il y aurait peut-être une piste de recherche du côté de l'évêché breton de Galice. Voici ce qui j'ai trouvé dans Chadwick, "La colonisation de la Bretagne armorique depuis la Bretagne celtique insulaire", p. 79 :

"L'évêché de Bretoña se maintint depuis le temps des Suèves jusqu'en 830 au moins, peut-être jusqu'au concile d'Oviedo en 900. Le siège épiscopal figure encore, sous la mention de la provonce de Braga, ainsi que les noms Britona, ou Britonia, ou Britonacensis sedes dans les listes datant de 962, et d'autres plus tardives. La dernière d'entre elles lui assigne ecclesias quae in vivino sunt inter Britones, una cum monasterio Maxime usque in flumen Ovae, et l'endroit est appelé Britonia jusqu'en 1156 dans un privilegium d'Alphonse VII. En définitive, le siège sera englobé dans celui de Montoñedo."

et page 80 : "si l'origine celtique de l'Eglise de galicienne est certaine, nous n'avons aucune indication concernant sa fondation, ou l'identité de son premier évêque connu, Mailoc. Au 7ème siècle, la Galice avait une manière de traditions littéraire, et dès le 5ème siècle, Orose parle de Brigantia en Galice, à laquelle il attribue des relations avec l'Irlande. L'Eglise fut-elle fondée directement depuis l'Irlande, ou, indirectement, depuis la Bretagne continentale, peut-être à partir de Landévennec ? Chacune de ces hypothèses est possible, mais la question demeure pendante."

Si on suit l'hypothèse d'une fondation par Landévennec, on peut entrevoir un lien entre la Cornouailles britannique et la Galice, par l'intermédiaire de Landévennec : saint Guénolé a donné son nom à trois paroisses de Cornouailles, Towednack, Gunwallow et Landewednack. Pour Joseph Lot, "plus qu'aucun autre monastère de Bretagne, Landévennec fort probablement était en rapports intimes avec le Cornwall"

C'est aussi dans la Vie de saint Pol-Aurélien, rédigée par le moine de Landévennec Wrmonoc en 880, que se fait l'identification entre Conomor et le roi Marc. Wrmonoc devait certainement connaître l'inscription de Fowey.
Drustagnus aurait-il été déformé en Arastagnus entre Fowey et la Galice ?

MessagePosté: Sam 20 Aoû, 2005 17:59
de Taliesin
Autre fausse piste, qui a la vie dure : le Tristan de Vitré. Loomis, en 1927, relève dans la Chronique de Vitré de Pierre le Baud, le nom d'un seigneur de Vitré entre 1030 et 1045 : Tristan, fils de Riwallon. Il n'en faut pas plus pour que le chercheur américain suppose une influence de ce seigneur sur le roman de Béroul, où l'on retrouve aussi le couple père-fils Riwallon/Tristan.

Sauf que :

- la forme "Tristan" n'est pas bretonne armoricaine, mais plutôt galloise, ou française, par l'intermédiaire de sources écrites galloises. On se demande bien pourquoi un breton du continent, originaire de Basse-Bretagne, appellerait son fils Tristan, alors que la forme locale est Trestan, à moins de supposer l'existence, dès cette époque, de récits sur Tristan, en provenance de Galles, via la Normandie ou l'Anjou.
- la forme originale du nom de ce seigneur de Vitré n'est pas Tristan, mais Driscamn ou Triscan, comme l'avait déjà remarqué La Borderie en 1865 ("La ville de Vitré et ses premiers barons." Revue de Bretagne et Vendée, 1865, pp. 434-438.). La Borderie ne fait même pas allusion à Tristan dans son article. Une évolution Driscamn/Triscan > Tristan semble à priori difficile.

Pourtant, on trouve encore, en 1987, sous la plume de J.C. Lozac'hmeur (Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, tome 1, p. 149) : "le seigneur de Vitré de 1030 à 1045 s'appelait Tristan (Piriou 1982, p. 286)" Piriou, comme Lozac'hmeur, perpétuent donc l'erreur initiale de Loomis.

A part ça, l'histoire de Riwallon de Vitré est intéressante à d'autres titres : elle montre la présence de seigneurs bretonnants à la limite orientale de la Bretagne : "Riwallon était un petit seigneur d’Auray, fief qu’il détenait par l’héritage de sa femme Gwen-Argant (blanche comme l’argent), qu’il avait épousée grâce au duc de Bretagne Geoffroi 1er. Ayant pris la défense du duc contre le puissant seigneur d’Hennebont qui avait insulté Geoffroi, Riwallon dut s’enfuir du Vannetais. En échange de son dévouement et de la perte de sa seigneurie d’Auray, Riwallon reçut de Geoffroi le fief de Vitré. Il y régna de 1008 à 1030 environ, puis son fils Tristan de 1030 à 1045." (La Borderie)

Or, ces seigneurs vont très vite nouer des liens familiaux avec les seigneuries voisines de Craon et de Laval, ce qui a pu être un vecteur de transmission des traditions bretonnes en Anjou et dans le Maine. A noter que parmi les premiers seigneurs installées dans des châteaux à l’est de la Haute-Bretagne, presque tous arboraient un patronyme à consonance bretonne : Brient à Châteaubriant, Rivallon à Vitré, Mainguené à La Guerche, Main à Fougères, Hervé à Martigné.

Dès la fin du 11ème siècle et le début du 12ème, on voit apparaître dans l'Anjou et le Maine des anthroponymes liés à la matière de Bretagne, surtout Arthur et Gauvain, et également Tristan, si on retient le Torestannus de Saumur comme la variante d'une forme Trestan.