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Matière de Bretagne : la tradition orale avant GM

MessagePosté: Mar 25 Jan, 2005 22:12
de Taliesin
Matière de Bretagne : la transmission orale avant Geoffroy de Monmouth

L’Historia Brittonum de Nennius :

Le noyau de l’Historia Brittonum a sans doute été composé vers 630, vraisemblablement par Rhun, fils d’Urien. Nennius y travailla ensuite de 796 à 826, compilant différents matériaux, rajoutant un nombre important de document trouvés à des sources diverses et multiples. L’Historia Brittonum, rédigée en Bretagne insulaire, était connue en Bretagne armoricaine dès la fin du 9ème siècle. Dans sa préface, Nennius évoque parmi ses sources : « la tradition de nos pères ». Il est fort probable qu’il fasse ici allusion à la tradition orale. En effet, il était dans l’attribution des bardes de tenir à jour les généalogies des chefs et le récit de leurs exploits. En tant qu’historiens, ils sont les dépositaires et les continuateurs de la tradition nationale. La versification, régie par une métrique compliquée et rigoureuse, leur permettait de garder en mémoire la partie centrale du récit tandis que le reste pouvait évoluer au gré du poète.

L’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth :

Geoffroy, probablement d’origine bretonne armoricaine, rédigea son œuvre maîtresse entre 1135 et 1138. Ce fut un best-seller pour l’époque, puisque plus de 200 manuscrits en ont été retrouvés. Il cite explicitement deux de ses sources, qui font autorité pour l’époque : Gildas et Bède. Bizarrement, il ne mentionne pas Nennius (bien que le nom soit cité plusieurs fois, mais en tant que personnage de l’Historia), alors qu’il est évident qu’il connaissait l’Historia Brittonum et qu’il s’agit même de sa source principale. De plus, Geoffroy présente son livre comme la traduction d’une source bretonne unique, le fameux « Britannici sermonis liber vetustissimus », sur lequel il sera intéressant de revenir. Entre Nennius et Geoffroy, trois siècles se sont écoulés, et le chef de guerre Arthur, vainqueur de 12 batailles, est devenu roi de Bretagne. Geoffroy a considérablement développé le personnage d’Arthur par rapport à Nennius, et pourtant, ni Gildas, ni Bède, les deux références de Geoffroy, ne mentionnent le vainqueur du Mont Badon. L’évêque de St Asaph aurait-il tout inventé ?

Culhwch et Olwen :

Rédigé vers la fin du 11ème siècle, «Culhwch et Olwen » suffit à montrer que la légende arthurienne existait avant Geoffroy. Ce dernier a pétri, taillé à sa guise une matière qu’il n’a pas inventée. Ce récit, qui paraît écrit dans une langue plus ancienne que les Quatres branches du Mabinogi, a l’intérêt de livrer la pure tradition indigène à propos d’Arthur. Par la forme, il est sensiblement différent des œuvres de Geoffroy et de Nennius et semble plus proche des contes irlandais que de la chronique historique. En outre, il mentionne pour la première fois le nom de Gwenhwyfar, ainsi qu’une impressionnante liste de guerriers, dont Kei, Bedwyr et Gwalchmei. Mais Modred, mentionné dans les Annales de Cambrie, n’apparaît pas dans « Culhwch et Olwen », non plus que l’épisode de l’adultère de Gwenhwyfar et de la trahison de Modred.

Là encore, la distance est grande entre Arthur, oncle de Culhwch, et l’Arthur de Geoffroy

La transmission orale : les bardes bretons armoricains :

Etrangement, l’épisode indiqué ci-dessus est représenté par une sculpture sur l’archivolte de la cathédrale de Modène, en Italie (mais sous forme d’un enlèvement et non plus d’un adultère). Cette sculpture est datée entre 1099 et 1120. Le roi Arthur est également représenté sur une mosaïque de la cathédrale d’Otrante, datée de 1165 (postérieure au livre de Geoffroy, donc). Il est clair qu’il y eut une tradition orale parallèle à la tradition écrite, et que la première a nourri la seconde sans pour cela arrêter son évolution.
La Bretagne armoricaine, bilingue dès sa création, puis trilingue par ses contacts avec l’Est roman puis français, était l’intermédiaire priviligié pour transmettre ces légendes, surtout au vu de sa situation géopolitique au sein de « l’empire Plantagenet »

Geoffroy avait-il connaissance de sources orales britto-armoricaines ?
Y avait-il des relations entre la Bretagne et les autres pays d'Europe (Italie, Angleterre, France, Aquitaine) qui auraient permis la transmission orale de la Matière de Bretagne avant 1138 ?
Quelles étaient les sources de Marie de France et de Thomas d'Angleterre ?
Y a t-il eu en Bretagne une corporation de poètes professionnels entretenus par les nobles, comme c'était le cas au pays de Galles ?

MessagePosté: Mar 25 Jan, 2005 22:36
de Marc'heg an Avel
Salut Taliesin,

Tu dis :

"Geoffroy, probablement d’origine bretonne armoricaine",

pourquoi pas, si tu peux le démontrer ! :wink: :? :roll:

Pour ma part, voici un résumé de ce que je peux y répondre :

"Historien breton qui, selon certains, est originaire de l'actuel Pays de Galles, près de Caerléon-on-Usk, selon d'autres de la Bretagne armoricaine. Il réside à Oxford de 1129 à 1151, où il a probablement exercé la fonction de chanoine du collège séculier Saint-Georges. Il est élu évêque de Saint-Asaph, en Flintshire, vers 1151, puis ordonné prêtre de Westminster à la mi-février 1152, et consacré en cette fonction à Lambeth une semaine plus tard par l'archevêque Théobald. Geoffroy est mort apparemment à Londres dans l'année ou peu après 1155".

"Breton", oui certainement ! mais de Galles ou de Petite Bretagne ?

JCE :)

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 0:16
de Taliesin
En fait, personne n'a tort, ça dépend du sens que l'on donne au mot "origine" ou "originaire" :

"Né selon toute vraisemblance au Pays de Galles, Geoffroy est probablement d'origine bretonne" (sous-entendu : bretonne armoricaine. Au 12ème siècle, le mot "Bretagne" a pris le même sens qu'aujourd'hui)
Laurence Mathey-Maille - Histoire des rois de Bretagne, p. 9

"Geoffroy naquit vers 1100 dans la région de Monmouth. Son père s'appelait sans doute Arthur et toute sa famille, d'origine bretonne, faisait partie de ces très nombreux seigneurs bretons passés en Angleterre après la conquête. Tout prouve que Geoffroy est d'origine bretonne armoricaine et non galloise."Léon Fleuriot - Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, p. 116 (Fleuriot énonce ces arguments sur les pages suivantes, mais il est bien tard pour que je recopie cela ce soir)

Geoffroy est né au Pays de Galles, mais toute sa famille est bretonne. Ce lien affectif avec la Bretagne permet de supposer :
- qu'il avait des contacts fréquents avec le milieu des émigrés bretons établis aux marches de Galles (et notamment à Monmouth) et en Cornouailles britanniques.
- qu'il connaissait la langue bretonne et qu'il aurait très bien pu traduire un "liber vetustissimus" que lui aurait rapporté de Bretagne l'archidiacre Walter d'Oxford.
- qu'il connaissait aussi bien les légendes galloises que bretonnes. De toute façon, ces légendes ont constitué un fond commun brittonique de part et d'autre de la Manche, au moins jusqu'au 10ème siècle : "de Dumbarton à Guérande, la "linga britannica" est aussi le moyen d'expression d'une tradition littéraire commune." Fleuriot, ibid. p. 9

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 10:40
de Gwalchafed
Geoffroy avait-il connaissance de sources orales britto-armoricaines ?
Y avait-il des relations entre la Bretagne et les autres pays d'Europe (Italie, Angleterre, France, Aquitaine) qui auraient permis la transmission orale de la Matière de Bretagne avant 1138 ?
Quelles étaient les sources de Marie de France et de Thomas d'Angleterre ?
Y a t-il eu en Bretagne une corporation de poètes professionnels entretenus par les nobles, comme c'était le cas au pays de Galles ?


Que répondre ? Oui, il est évident qu'une tradition orale préexistait avant Geoffroy...mais il est difficile, voire impossible de savoir s'il a puisé uniquement dans des sources galloises...
Par contre, de nombreux indices viennent au moins corroborer une influence bretonne armoricaine :
- Les nombreuses transplantations de sujets arthuriens (ex.: Brocéliande qui se trouve à chuuut hein JC :wink: )
- La grande transmission orale d'information à travers l'Europe : comment soutenir que la légende d'Arthur se transmet très vite à travers toute l'Europe uniquement à partir de la G-Bretagne ? Les bardes bretons seraient - ils suffisamment idiots pour ne pas profiter de la mode et/ou pour ne pas voyager ? Difficile à croire...
- Les nombreux contacts bretons-normands :D Je sais, je sais , c'est difficile à croire 8), mais Loomis suppose par exemple pour Bari que la présence conjointe en 1096 de Robert II Courteheuse (Fils de Guillaume le Bâtard) et d'Alain Fergant, duc de Bretagne à Bari, attendant un vent favorable pour partir se croiser, a été décisive...Et je vais citer Marcel Brasseur, parce que sinon je serais privé de poires ET de pommes si je le dis moi-même :oops: :
D'abord les princes bretons défendirent leur pays contre les normands et étendirent même leurs territoires à leurs dépens. Ce faisant, ils devinrent, sur les marches de l'est de l'Armorique, les tuteurs d'une population qui parlait le francien.(...)les Armoricains fournirent aux princes normands des contingents de mercenaires,(...)les aidèrent dans leurs conquêtes en Italie du Sud, mais aussi pour des actions plus vastes en Bretagne insulaire.

On va s'arrêter là. En fait, pour moi, le fait que GM écrive sa pseudo chronique pour asseoir la légitimité d'un normand aux yeux des gallois montre bien que les contacts normands-gallois étaient encore peu décisifs. A-t-il collecté des légendes galloises ? C'est possible, mais il est plus probable qu'il ait puisé dans l'imaginaire breton, qui devait lui être plus accessible...Ceci dit, un bon mélange, c'est toujours une bonne recette.... :wink:

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 11:58
de Marc'heg an Avel
Il est tout à fait clair que GM disposait de textes anciens, probablement d'origines diverses.

J'avais déjà eu l'occasion de démontrer qu'il avait dit juste concernant le débarquement de César dans le Kent, quand il précisait que : "le vent repoussa la marée".

Après avoir étudié sur place et sur cartes les horaires et sens et puissance des marées peu avant la lune d'août, il s'avère que les indications de stationnement de la flotte romaine, puis le changement de sens de la marée, puis la marée descendante en fin d'après midi à Deal est exactement conforme à la réalité, et ça, il ne pouvait pas l'inventer.

Idem pour le débarquement de Maxime, en 383, qui doit d'abord affronter des Francs. Or ceux-ci étaient déjà installés en Gaule belgique bien avant qu'une notice en indique un groupe de lètes à Rennes, ces derniers, selon M. ROUANET-LIESENFELT, était l'une des plus piètres qu'on pouvait disposer dans ce secteur.

Donc, à ces deux reprises là au moins, GM a dit la vérité.

N'oublions pas qu'il s'agit d'un ecclésiastique catholique romain.

S'il est vrai que les premiers temps des Anglo-saxons en G. Bretagne a été marquée par leur paganisme, il est vrai aussi que le Vatican a tout fait pour les récupérer au christianisme, en favorisant aussi les mariages entre les ethnies. cf St Augustin de Canterbury.

A telle enseigne que la ville de Canterbury s'honore du titre de Mater Angliae.

Image

Dès lors, les traditions se sont interpénétrées et les chrétiens d'origine britto-romaine ont pu transmettre leurs traditions, au moins ce qu'il en restait, par le vecteur du clergé.

JCE :)

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 12:24
de Gwalchafed
JC, arrête moi si je me trompe mais
1) Tu cherches une possibilité pour que le texte de GM colle à une réalité historico-géographique
2) Tu la trouve
3) Comme elle colle, tu dis que c'est une preuve que G avait raison ?

N'est-ce pas ce qu'on appel un cercle de réflexion ?

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 13:53
de Taliesin
Hum, hum, l'important dans ce fil n'est pas de démontrer l'historicité ou non du texte de GM ni même d'une partie du texte. Je crois que cela a du déjà être discuté par ailleurs, si je ne me trompe. Ce qui est important ici n'est pas de savoir ce qui est vrai ou faux dans les sources de GM, mais de jeter un éclairage sur la façon dont elles ont été transmises et par qui. On n'est pas dans l'histoire pure, simplement dans l'histoire de la littérature, ce qui n'est pas moins intéressant. Maintenant, chacun fait ce qu'il veut hein :wink: Pep hini zo libr da c'hoari gant e filip.

Autre chose : je ne crois pas qu'il y ait eu vraiment de contacts entre les Gallois et les Anglo-saxons. La meilleure preuve est que ce ne sont pas des moines britto-romains du pays de Galles qui ont évangélisé les païens saxons, mais principalement des Irlandais, dont le contentieux avec ces Saxons était moins lourd.
Quand Augustin de Cantobery rencontre les évêques britto-romains à Bristol, il se voit opposer une fin de non-recevoir, pour deux raisons : le conflit opposant l'Eglise de Rome et les chrétientés celtiques, et la haine des Saxons.

De là, je vois difficilement des contacts amicaux pouvant entraîner une transmission des traditions par le vecteur du clergé, du moins pas avant le 8ème siècle et la soumission du clergé gallois à la règle romaine, et encore (voir O. Loyer, les chrétientés celtiques)

Par contre, il y eut plus tard, au moment des invasions normandes (10ème siècle), des liens entre la Bretagne armoricaine et les Anglo-Saxons : Aethelstan et Alain Barbe-Torte.

Quant à Alain Fergant et Robert Courteheuse, ils se connaissaient bien : ils furent beaux-frères jusqu'à la mort de Constance (1090), fille du Conquérant et première épouse d'Alain Fergant. Et ces nobles ne se sont certainement pas embarqués pour une aussi longue période que la croisade sans une suite conséquente avec eux, suite où l'on devait certainement trouver des poètes et des jongleurs. Fallait bien se distraire pendant les longues traversées et dans le désert de Palestine.

A noter qu'Alain Fergant, originaire de la noblesse de Cornouaille, fut le dernier duc de Bretagne à parler breton. Il était bilingue, si ce n'est trilingue.

Et on retrouve le nom de Fergant dans la littérature galloise :

Dans "Culhwch et Olwen" (rédigé au 11ème siècle), il est fait mention d’un Isperyn, fils de Fergan, roi du Llydaw.
selon les triades galloises, la tribu d’Alain Fergan est l’une des trois principales familles ou tribus déloyales de l’île de Bretagne, car elle abandonna en secret son seigneur sur la route de Camlan.

Ou quand le fond ancien d'une légende se trouve mêlé d'éléments contemporains à sa rédaction...

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 14:27
de Gwalchafed
Oui les bardes ont plus de chances de colporter ces histoires que les moines...
Je pense que les contacts saxons-gallois ont probablement peu de choses à faire dans cette histoire, car politiquement le texte de Geoffroi est une épine galloise dans le flanc des saxons, lancée par les normands. Ou : comment se rallier les ennemis de vos ennemis...Je ne vois pas de transmission folklorique Gallois-saxons, ni saxons-normands. Il est sans doute plus raisonnable de penser soit à gallois-normands, soit bretons-normands, dont les relations étaient nettement plus cordiales. :wink:

Le fait d'actualiser les contes ou les légendes est bien connu ; les conteurs remplaçaient souvent les personnages des contes par des personnages plus proches de leur public, et d'autres lieux par des lieux plus parlant. C'est se conquérir un auditoire, et c'est d'ailleurs une des constantes dans l'amplification de la légende arthurienne : si un personnage commençait à être connu, il fallait absolument qu'il soit au moins mentionné par l'histoire. C'est ainsi que des personnages sont passés de "best supporting actor" à "best actor" : Gauvain surtout, dans une moindre mesure Gahériet, Bohor, Hector, on a même une révolution complète avec le chevalier au papegau qui fait revenir arthur sur le devant de la scène...

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 15:16
de Marc'heg an Avel
Tout ça c'est bien !

Mais on commence à confondre les Britto-romains avec les Gallois.

Or, ça n'est pas la même chose !

On a vu que lors des guerres civiles des V et VI siècles, il y avait des Britto-romains dans chaque camp.

Et celà a continué ensuite.

L'Eglise favorisant les mariages mixtes, ce sont les princes Anglo-saxons, païens, qui se sont converti au christianisme de leurs épouses d'origine bretonne.

S'il est vrai qu'au départ de la conquête anglo-saxonne, ceux ci ont agi alors qu'ils étaient païens, les choses ont évolué par la suite de façon plus 'politique' sous l'influence de l'église, et contrairement à ce qui est dit souvent, des cités britto-romaines ont changé de maîtres sans qu'il y ait eu affrontement militaire. Ce fut le cas des Durotriges !

Donc, ne pas désigner les Gallois comme seuls Britto-romains.

De même, effectivement, il y avait des descendants de Britto-romains aussi bien du côté d'Alfred que de celui de Guillaume le Bâtard (conquérant par la suite !).

JCE :)

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 17:02
de Taliesin
En tout cas, au 12ème siècle, du temps de GM, c'est clair : les Bretons sont les habitants de la Bretagne, et les Gallois ceux du pays de Galles.

Avant les invasions normandes, on peut dire qu'on a affaire à des Bretons (ou Brittons) de chaque côté de la Manche. Le terme de Cymri se trouve assez tard par écrit, au 10ème dans les lois de Hywell Dda, mais il a probablement été employé avant par diverses tribus de l'Ouest en lutte contre les Saxons. Avant le 10ème siècle, employé concurramment avec le terme "brittons" ("Cymri" ne se trouve pas dans le Gododdin), il désigne aussi bien les habitants du pays de Galles actuel que ceux des royaumes du Nord (Gwyr y Gogledd) qui résistaient encore à l'envahisseur.

Ainsi, Aneirin est considéré comme un barde gallois, et c'est dans cette langue que ces poèmes ont été mis par écrit au 13ème siècle, alors qu'il chante les exploits des Votadini du Nord de l'Angleterre. Même chose pour Taliesin, le barde d'Urien de Rheged.

Maintenant, que des Saxons et des Normands aient eu des ascendants britto-romains au gré des conquêtes des uns et des autres, ça ne prouve pas que la tradition britonnique ait été transmise par ces Saxons descendants de Britto-romains.

Après la conquête des Saxons, seuls les Gallois (cymri du pays de Galles)ont pu conserver suffisamment d'indépendance politique pour maintenir leurs traditions dans leur langue.

MessagePosté: Mer 26 Jan, 2005 19:53
de Taliesin
Voici quelques éléments complémentaires, donnés par Fleuriot (Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne), concernant les rapports de GM avec les Bretons :

« Ses amis se recrutent chez les Bretons et les Normands d’Angleterre. Miss Ditmas a montré ses liens avec les familles bretonnes établies en Cornwall. Pierre Flatrès, étudiant la place des Bretons en Galles et sur les marches après la conquête de l’Angleterre, souligne l’importance de l’élément breton dans la région de Monmouth, avec le seigneur Withenoc qui revint sur le continent et se fit moine à Saumur, avec son neveu William Fitz Baderon, ancêtre des seigneurs de Monmouth. […] Bien d’autres bretons résidaient un peu partout en Grande-Bretagne. Ils étaient si nombreux que Geoffroy n’était pas un cas extraordinaire. Une autre preuve des origines bretonnes de Geoffroy est son chauvinisme en faveur des Bretons continentaux. S’il souligne souvent l’origine des Bretons insulaires et continentaux, il considère les premiers comme des dégénérés et réserve ses éloges aux seconds. C’est d’Armorique que vient toujours le salut. […]
Une autre raison de considérer Geoffroy comme un Breton est son assertion, plusieurs fois répétée, d’avoir traduit un « liber vetustissimus » (un livre très ancien) que lui a rapporté de Bretagne l’archidiacre Walter d’Oxford. […] Son ennemi Alexandre de Newburg l’a précisément accusé d’avoir traduit des textes bretons, ce qui diminue la part d’invention que l’on accorde généreusement à Geoffroy. […] Le chroniqueur Alfred de Beverley, dans ses « Annales sive Historia de Gestis Regum Britanniae » (1145) cite, lui aussi, six fois au moins, comme source de son information, le « britannicum ». Serait-ce un texte identique à celui utilisé par Geoffroy ? »

Nota : Saint Jean de Beverley, dont Bède fut le disciple, est devenu le patron de la paroisse de Saint-Jean-Brevelay dans le Mor-bihan, probablement après l’exil de nobles bretons chez Aethelstan. Intéressant aussi : Beverlay se trouve non loin du comté de Richmond, devenu fief de seigneurs bretons après la conquête de l’Angleterre. Alfred de Beverley pouvait fort bien avoir accès à des sources venues de Bretagne armoricaine, comme Geoffroy de Monmouth son contemporain.

Fleuriot se réfère également à la version galloise de l’HRB contenue dans le Livre Rouge de Hergest (p. 256 de l’éd. de J. Rhys et J.G. Evans, 1887-1890), où Geoffroy dit que d’autres auteurs feraient mieux de se taire, « car n’est pas avec eux ce livre « brwtwn » que traduisit Gwallter, archidiacre d’Oxford, du « brytanec » en « kymraec »…de cette façon j’ai songé moi à le traduire en latin. »
Et Robert de Torigni écrit vers 1152 : « Gaufridus Arturi, qui avait traduit l’histoire des rois des Bretons, du ‘britannicum’ en latin, est fait évêque de Saint-Asaph en Nord-Galles. »

Visiblement, les contemporains de GM ne mettaient pas en doute l’existence de ce fameux livre en breton.

« Il y a d’autres preuves que Geoffroy a utilisé des sources bretonnes. Elles sont basées sur les différences qui existaient au 12ème siècle entre les langues issues de la « lingua britannica ». En Gallois, après le 10ème siècle, apparaît un y- avant st, sp, sg ; or, Geoffroy écrit Spaden, Stadiald…. A cette même époque, la finale –auc est commune en gallois, et la finale –oc en breton, bien qu’il y existe des exceptions et des variantes, notamment –uc, -euc en breton. Or, chez Geoffroy –oc est bien plus fréquent que –auc : Budoc, Chinmarchocus, Caradocus ; de même Oxford est pour lui Ridochen et non Ridichen comme en gallois ancien.
La forme Kaerpenhuelgoit est déjà du breton-moyen. En vieux-gallois et vieux-breton, la forme serait *caerpenuchelgoit, avec uchel et non uhel « haut ».
Cela suffit pour affirmer :

1 – que Geoffroy a utilisé, au moins en partie, des sources bretonnes armoricaines.
2 – que le « liber vetustissimus » n’était pas très ancien, car une forme comme « huel » ne peut être antérieure au 11ème siècle.

Geoffroy a peu inventé ; il a mis en forme et rendu assez cohérentes des traditions antérieures souvent divergentes. Il connaît très peu au début les variantes galloises des traditions qu’il rapporte."

MessagePosté: Dim 30 Jan, 2005 14:56
de Taliesin
Demat d'an holl ! :D

Après réfléxion, je me demande si le titre du fil est bien choisi : parler uniquement de la tradition orale avant GM reviendrait à supposer qu'après lui, la transmission se serait faite uniquement par écrit, à partir de son best-seller. Or, il n'y a rien de plus faux (c'est mon auto-critique dominicale)

Si Wace a traduit l'HRB en français, il l'a aussi considérablement développée, et c'est dans le Brut qu'est mentionnée pour la première fois la Table Ronde. Wace l'a-t-il inventée ?

D'autre part, il y a d'énormes différences entre l'HRB et les oeuvres des autres écrivains de la matière de Bretagne :

Marie de France s'est beaucoup plus inspirée de Wace que de Geoffroy pour tracer le cadre de ses lais. Quant au contenu en lui-même, il lui a été transmis en grande partie par "li Bretun"

Concernant Chétien de Troyes, "un hiatus énorme sépare la légende arthurienne, telle qu’elle vient d’être retracée par Geoffroy et Wace, des fictions utilisées par un Chrétien de Troyes. Que doivent en somme Erec et Enide, le Chevalier de la Charrette, le Chevalier au lion, le conte du Graal à l’Historia et au Brut ?" J. Frappier, Chrétien de Troyes, p. 32

Et que dire des trois contes gallois que l'on trouve dans les Mabinogion : Gereint, Owein et Lunet, Peredur qui ressemblent fort aux romans de Chrétien ? L'auteur de ces contes gallois a-t-il copié sur le champenois, ou est-ce l'inverse ?

Enfin, il y a une légende, LA légende panceltique par excellence, qui ne doit absolument rien à Geoffroy de Monmouth : c'est "Tristan et Iseult". Quelles sont les sources de Thomas d'Angleterre et de Beroul, dont les versions datent de la seconde moitié du 12ème siècle ?
Cette légende était connu depuis longtemps du nord au sud des terres brittoniques : partant du pays picte (Drustan est un nom picte), elle a été influencée par la légende irlandaise de "Diarmaid et Grainne" avant de se fixer en Cornouailles, puis de traverser la Manche pour se répandre en Bretagne armoricaine. Enfin, elle était connue des troubadours occitans et de la cour de Poitiers avant 1150.

Thésée

MessagePosté: Dim 30 Jan, 2005 17:34
de ejds
Tristan et Iseult
Voile blanche, voile noire
Histoire aux couleurs gwenn ha du de Tristan et Iseult où lorsque la légende vogue à la rencontre de Dédale et du fil d'Ariane de Thésée : :shock:

http://www.yrub.com/mytho/myththesee.htm

Le contenu de la légende : :shock: :shock:

http://yz2dkenn.club.fr/le_contenu_de_la_legende.htm

Les similitudes de la légende : :shock: :shock: :shock:

http://www.libre-esprit.net/tristan_yse ... urces.html

e.

MessagePosté: Dim 30 Jan, 2005 17:38
de ejds
Triste temps pour Tristan (voir fil précédent): :( :shock:

TRISTAN, orphelin de naissance doit son prénom à ce triste jour, (plusieurs hypothèses sont avancées sur le sens du prénom : selon certains, il signifie "triste temps", selon d'autres "triste an(née)".
Par ailleurs, le surnom qu'il emprunte pour aller en Irlande quérir une femme pour son oncle le roi Marc, "TANTRIS", anagramme de TRISTAN, serait son véritable prénom : " tant triste" ). :cry:

e.

MessagePosté: Dim 30 Jan, 2005 18:40
de Taliesin
La voile blanche ou noire est absente du texte de Béroul, qui n'a pas été retrouvé au complet de toute façon, mais elle apparaît dans la version de Thomas d'Angleterre. Celui-ci, tout comme Marie de France, a très bien pu être influencé par les légendes grecques antiques, comme celle de "la guerre de sept contre Thèbes", retracée dans le Roman de Thèbes, œuvre très connue à l’époque et qui fut traduite peu après 1150. Or, le Tristan de Thomas est daté de 1175. Influence possible, donc.

Quant à des similitudes plus profondes avec la mythologie gréco-latine et le christianisme, ce qui est dit sur le lien me semble très léger (Yseult n’a pas été enlevée contre son gré par Tristan, le rapport avec Adam et Eve ???). Par contre, l’influence orientale est possible pour certains points, surtout après les croisades.

Pour l’étymologie de Tristan, ça me semble bizarre de chercher des racines françaises à un nom d’origine celtique, mais bon…
Et rien ne dit qu’il était orphelin de naissance. A l’origine de la légende se trouverait un roi picte, Drostan fils de Talac ; au pays de Galles, on retrouve Tristan mab Tallwch, tandis qu’en Cornouailles, il est le fils de Conomor, que l’on confond avec le roi Marc.