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Omphalos et royauté sacrée

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:20
de Fergus
LA ROYAUTE SACREE


Argument : Les Celtes semblent avoir conservé une conception traditionnelle de la royauté. Le roi n'y est pas seulement le chef temporel de la communauté, mais occupe une place spirituelle et même métaphysique particulière. La société humaine devant être à l'image de la société divine, le roi est la projection sur terre de la royauté sacrée idéale.
Ces conceptions métaphysiques s'expriment par des mythes qui racontent la fonction royale. Elles sont en relation avec une géographie sacrée, qui les incarne dans le paysage.


I. Mediolanum Biturigum
Deux éléments de vocabulaire religieux et de géographie sacrée

Christian-J. Guyonvarc'h
in Ogam XIII, n° 73, février-mars 1961

résumé de Fergus, votre serviteur :wink:

1. Le nom des Bituriges
Tout d'abord, le Pr. Guyonvarc'h analyse le nom de la tribu gauloise des Bituriges (actuel Berry, capitale Bourges). Si la deuxième partie de ce nom ne fait pas mystère (il s'agit du suffixe répandu -rix, pluriel -riges, "rois"), en revanche le premier élément a donné lieu à quelques débats que l'auteur s'attache à résoudre. En effet, certains interprètent le mot *bitu- par "éternel", et d'autre par "monde".
Après avoir énuméré les noms contenant le radical BITU dans l'épigraphie continentale, Ch.-J. Guyonvarc'h constate qu'en celtique insulaire (irlandais), la forme bith exprime aussi bien la notion de monde (for bith ché "dans ce monde", tre bithu sir "à travers le grand monde") que celle d'âge, d'éternité, de siècle (isna bithu "pour toujours", tria bithu na m-betha "à travers les âges des âges", c'est-à-dire "pour les siècles des siècles"). Mais on trouve également une acception adjectivale signifiant "éternel" dans les expressions bith-anim "âme éternelle", bith aittreb "demeure éternelle", bithmaith "toujours bonne" (épithète de Sainte-Brigitte). On en conclut que les deux mots n'en font qu'un seul, issu d'un thème indo-européen *g(u)i qui désigne la vie (irl bethu, gall bywyd, du vieux celtique *biueto-, indo-européen *g(u)ieto-) .
Le nom des Bituriges peut donc être compris comme "toujours rois" si l'élément *bitu- est considéré comme un adverbe, et "rois du monde" s'il s'agit d'une composition de substantifs. C'est pourquoi le celtisant écrit : "Dans le principe métaphysique absolu (...), politiquement et religieusement, tout le peuple biturige est 'roi du monde' par rapport au reste du monde profane et surtout au reste de la Gaule. C'est en vertu de cette qualité intrinsèque que, insensible aux fluctuations de l'histoire humaine, sa royauté est universelle et perpétuelle. On pourrait aussi traduire par 'tout à fait rois, très royaux', (en ajoutant) : la royauté suprême perdure jusqu'à la fin des temps. Le traitement réservé à la Tara des rois dans la légende royale irlandaise en fournirait, si besoin était, un illustre exemple !".

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:24
de Fergus
2. Mediolanum
Le toponyme Mediolanum est un des plus répandus de notre géographie, mais il a très peu été étudié. Le problème est le suivant : Medio- signifie clairement "milieu". L'Irlande possède justement une province centrale nommée Mide "milieu" (aujourd'hui Meath). Le second élément -lanum peut correspondre au latin planus (les langues celtiques ayant pour caractéristique d'abandonner le -p- initial). Dans ce cas, Mediolanum signifierait simplement "plaine du milieu", et désignerait des sortes de sanctuaires fédéraux, dans une conception analogue au Midgard scandinave. Cependant le seul adjectif celtique dont on peut rapprocher *lanon est *lanos, qui ne signifie pas "plat", mais "plein". D'autre part, les Mediolanum recensés ne sont pas tous centraux, loin de là, et ne sont pas forcément situés en plaine. En outre, le Mediolanum des Bituriges ne présente aucune trace archéologique d'un grand sanctuaire national.
Il faut donc reprendre l'étude exhaustive de tous les Mediolanum. L'auteur dresse une liste des 58 toponymes de France et d'Europe occidentale qui peuvent avoir été des Mediolanum, de Milan (Italie) jusqu'à Metelen (Westphalie), en passant par Châteaumeillant (Mediolanum des Bituriges, Cher), Malain (Côte d'Or), Molain (Jura) et Molliens-Vidame (Somme).
On constate alors que :
" 1°) Un petit groupe de toponymes s'applique à des villes ou à des localités ayant eu une importance relativement grande dans l'antiquité celtique.
2°) Un autre groupe désigne des hauteurs. Il est bien évident, par exemple, que Châteaumeillant, oppidum des Bituriges, n'est pas situé dans une plaine.
3°) La plupart des Mediolanum sont des lieux-dits, des écarts, des hameaux ou des villages, en tout cas semble-t-il des endroits éloignés de tout établissement humain de quelque envergure, à notre époque ou à l'époque antique. Des fouilles systématiques seraient nécessaires dans ces endroits
."

Tout ceci pose des questions qui ne peuvent être résolues par le linguiste (pourquoi n'y a-t-il pas de Mediolanum en Europe centrale ? Le terme serait-il "tardif, limité à un type restreint ou bien défini d'oppidum ou d'habitat, postérieurement au déplacement du "centre" celtique d'Europe centrale et danubienne vers l'ouest ?"). Se limitant à la question du sens de Mediolanum, Ch.-J. Guyonvarc'h l'attribue sans hésiter au vocabulaire religieux du celtique continental, et le rapproche du Medionemeton évoqué à propos du locus consecratus de César : "Medionemeton, Mediolanum, Vindolana et toutes les formations de ce genre ont désigné sans nul doute à l'origine un enclos ou une clairière, au moins un espace libre symbolisant le centre religieux et culturel de la peuplade, de la tribu ou de la cité". De plus, le second élément du nom, -lanum, peut être interprété comme une forme de lanos, "plein", avec le sens de "parfait, complet". Le toponyme "indique selon toute apparence un endroit où pouvait se réaliser une espèce de plénitude religieuse, un "centre de perfection".
"Le nom de Mediolanum, porté par un important oppidum des Bituriges,, serait ainsi caractéristique de la vocation particulière de ce peuple en vertu d'une position géographique centrale, doublement idéale et réelle".

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:28
de Fergus
II. LE CELTICVM D'AMBIGATVS
ET L'OMPHALOS GAULOIS
La royauté suprême des Bituriges

Françoise Le Roux
in Ogam XIII, n° 73, février-mars 1961

résumé de Fergus

1. Principes et méthodes : mythe et histoire.
Françoise Le Roux pose d'abord les principes de sa réflexion, et propose de confronter les données continentales et les mythes insulaires, en comparant :
1. le court passage de César relatif à la grande assemblée druidique chez les Carnutes ;
2. l'extrait de Tite-Live décrivant la Gaule d'Ambigatus et faisant le récit de la fondation de Milan ;
3. le texte du Lebor Gabala expliquant la division de l'Irlande en cinq provinces, l'extrait latin de Giraud de Cambrie relatif à l'omphalos d'Uisnech, le texte irlandais de Keating racontant la création légendaire de la province de Mide ;
4. les textes chrétiens décrivant le culte païen de Mag Slecht ;
5. deux extraits des Mabinogion gallois.

En effet, dans le domaine celtique, le mythe et l'histoire s'interpénètrent facilement, et ce qui est donné pour historique chez Tite-Live ou Keating correspond souvent à des mythes chez d'autres auteurs. Il conviendrait donc de rechercher "l'unité conceptuelle du mythe et de l'histoire chez les Celtes".
C'est ainsi que la royauté biturige et la royauté suprême d'Irlande à Tara, plus mythiques qu'historiques, éclairent la conception celtique du centre du monde. Cette notion de royauté centrale s'identifie avec celle d'omphalos, de centre sacré . "Guerrière, sacerdotale ou encore cumulant les deux aspects, la fonction royale est intrinsèquement religieuse".

Comme F. Le Roux, on ne peut que citer la définition générale de l'omphalos par Mircea Eliade dans son Traité d'Histoire des Religions :
"Aussi ces centres se laissent-ils fort difficilement dépouiller de leurs prestiges et passent, à la manière d'un héritage, d'une peuplade à l'autre, d'une religion à une autre. Les rochers, les sources, les grottes, les bois vénérés au cours de la protohistoire continuent, sous des formes variables, d'être tenus pour sacrés par les populations chrétiennes d'aujourd'hui. Un observateur superficiel s'expose à prendre pour une "superstition" cet aspect de la religiosité populaire et à y voir la preuve que toute vie religieuse collective est constituée en bonne partie par un héritage de la préhistoire. En réalité, la continuité des lieux sacrés démontre l'autonomie des hiérophanies ; le sacré se manifeste suivant les lois de sa dialectique propre et cette manifestation s'impose à l'homme du dehors. Supposer que le "choix" des lieux sacrés est abandonné à l'homme lui-même, c'est du même coup rendre inexplicable la continuité des lieux sacrés".

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:32
de Fergus
2. A propos d'une discordance de César et Tite-Live.
F. Le Roux cite le passage (De Bello Gallico, VI, 13) où César mentionne le locus consecratus où se réunissent les druides gaulois, dans le pays des Carnutes, et affirme qu'un tel lieu a dû attirer de nombreux visiteurs, y compris après la conquête romaine. Puis elle examine les arguments - nombreux - en faveur du site de Saint-Benoît-sur-Loire (45). Ces arguments, bien que non probants, constituent un faisceau de présomptions qui obligent à la réflexion. Pourtant, les Carnutes ne sont pas les Bituriges, et à l'époque de la Guerre des Gaules ces deux peuples étaient assez opposés. L'omphalos semblerait donc assez mal placé.
Or, l'historien romain Tite-Live écrit dans son Histoire Romaine, V, 34 :
"Voici ce que nous avons appris du passage des Gaulois en Italie : Pendant le règne de Tarquin l'Ancien, chez les Celtes qui forment le tiers de la Gaule, l'autorité des Bituriges était la plus grande. C'est eux qui donnaient un roi à la Celtique. Ce fut Ambigatus, dominant par son mérite, sa fortune personnelle et surtout publique car sous son gouvernement la Gaule eut une telle abondance de récolte et d'hommes qu'on pouvait, semble-t-il, à peine gouverner une telle multitude. Etant lui-même très vieux et désirant décharger son royaume de la population qui le surchargeait, il fait savoir qu'il enverra Bellovèse et Ségovèse, fils de sa sœur, jeunes gens courageux, aux endroits que leur fixeront les augures ; "qu'ils fixent le nombre des hommes qu'ils veulent emmener afin qu'aucun peuple ne puisse s'opposer à leur venue". Le sort donne alors, à Ségovèse, la forêt hercynienne ; à Bellovèse les dieux donnent une direction plus agréable : l'Italie. Celui-ci lève ce qui surabondait chez les peuples (d'Ambigatus), Bituriges, Arvernes, Senons, Eduens, Ambarres, Carnutes, Aulerques. Il part avec un grand nombre de troupes d'infanterie et de cavalerie chez les Tricastins. Là, les Alpes s'opposaient à lui ; qu'elles lui soient apparues comme infranchissable, je ne m'en étonne nullement, car à moins qu'il ne convienne de croire à la légende d'Hercule, on ne les avait encore franchies par aucun passage. Comme la hauteur des montagnes retenait en quelque sorte les Gaulois prisonniers, ils regardaient partout de quel côté ils passeraient à travers cette chaîne qui touchait au ciel vers un autre univers. La religion les retint encore parce qu'on annonçait que des nouveaux venus cherchant une terre étaient attaqués par les Salyens. Ces nouveaux venus étaient les Marseillais, venus par mer de Phocée. Les Gaulois virent là un présage de leur propre sort et les aidèrent à fortifier, sans opposition des Salyens, l'endroit qu'ils avaient occupé en débarquant. Eux-mêmes passèrent les Alpes tranquillement par les cols des Taurins ; ayant infligé aux Etrusques une défaite non loin du Tessin et ayant entendu dire que le pays dans lequel ils s'étaient installés s'appelait Insubrium, le même nom que le canton des Insubres chez les Eduens, ils suivirent le présage de l'endroit et y fondèrent une ville qu'ils appelèrent Mediolanum".
Ambigatus est le souverain parfait, qu'on rencontre aussi dans les textes irlandais (par ex. Conchobar), tandis que Bellovèse et Ségovèse font penser aux Dioscures et au couple irlandais Cúchulainn et Conall Cernach. "L'image de la royauté suprême celtique est et reste celle d'un 'Roi du Monde' gouvernant avec ses deux assesseurs, selon une formule ternaire hautement traditionnelle". On remarque en tout cas la fédération, sous l'autorité d'Ambigatus, des peuples les plus puissants de la Gaule à l'époque de César : Eduens, Arvernes, Aulerques, et aussi les Carnutes, détenteurs du locus consecratus.
Dans ce cas, comment expliquer la différence de situation entre Tite-Live et César ? Les guerres endémiques ont pu faire décliner la royauté biturige, les frontières se déplacer, l'omphalos a pu être transféré par la contrainte d'un sanctuaire biturige au locus consecratus carnute, à moins que les Carnutes aient été depuis toujours les gardiens de ce lieu consacré (Carnuti, "les gens du carn", c'est-à-dire de la pierre ?). La décadence serait alors due aux roitelets arvernes et éduens, qui auraient usurpé la suzeraineté peu avant l'empire arverne de Bituitos et de Louernios, vers le III° siècle. "La fréquence des Mediolanum dans la toponymie gauloise serait ainsi explicable par l'influence qu'ont exercée les Bituriges à la haute époque".
Ces hypothèses, que rien ne contredit, éclaireraient la contradiction Tite-Live / César, et la situation en Gaule pendant la conquête : "hostilité à la fonction royale, émiettement de l'autorité, agitation d'une caste militaire irresponsable et ambitieuse, invasion étrangère, misère du peuple et tractations étranges du druide Diviciacus...".
"L'éviction ou la suppression des rois suprêmes bituriges, la rupture d'équilibre matérialisée par le transfert de l'omphalos aurait été, dans ces conditions, le premier signe du déclin celtique (...)".

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:35
de Fergus
3. Le schéma insulaire.
Dans le Lebor Gabala ou Livre des Conquêtes de l'Irlande, on apprend comment l'île est divisée en cinq provinces depuis les plus lointaines origines. Une portion des quatre provinces (Ulster, Leinster, Munster et Connaught) a été prélevée pour former la province centrale de Mide ("milieu").
Keating, quant à lui, explique dans son Histoire d'Irlande comment et pourquoi sont organisées les différentes fêtes traditionnelles dans les quatre "forteresses" royales (Tailtiu, Tara, Tlachtgha et Uisnech) de la province de Mide. Ces fêtes (en relation avec les différentes fonctions sociales et traditionnelles) sont donc non seulement calendaires mais aussi géographiques, sur le principe du circuit annuel du roi d'Irlande. "Une pierre des divisions" existait bien, mais elle se trouvait à Uisnech et non au point de jonction des quatre provinces dans Mide, ce qui n'empêche pas Giraud de Cambrie d'écrire : "La trouvant vide (l'Irlande) en arrivant, ils se la partagèrent en cinq parties dont les extrémités se rejoignent à une certaine pierre de Midhe, près du château de Kylla. On appelle cette pierre l'ombilic d'Irlande parce qu'elle est située presque au centre et au milieu de la terre ; d'où il vient qu'est nommée Midhe la région d'Irlande dont elle est le centre". A noter que cette pierre a été christianisée, devenant Ail Coithrige "la pierre de Patrick" au lieu de Ail Coic-rige "la pierre des cinq royaumes"... S'il y a un omphalos d'Irlande, c'est à Uisnech qu'il devait se trouver. Or ce n'est pas là que se tenaient les assemblées druidiques, mais à Tlachtgha, dans la nuit de Samain. Il est pourtant improbable que les druides irlandais et gaulois aient tenu leurs assemblées dans un endroit autre que l'ombilicus ou locus consecratus. L'hypothèse qui a la faveur de l'auteur est celle d'une multiplication des sanctuaires, de transferts et d'usurpations qui trahissent l'anarchie et la décadence. Notons que, après la christianisation, l'omphalos religieux a été (encore ?) tranféré à Clonmacnoise.
D'autre part, on trouve dans divers textes la mention d'une autre pierre, à Mag Slecht ("plaine du massacre"), qualifiée de "idole royale d'Irlande", et nommée Crom Cruaich. On ignore la localisation de cette pierre, et on ne peut l'exclure a priori du système des omphaloi d'Irlande. On y rendait un culte sacrificiel et des oracles étaient rendus, certainement lors d'une fête solennelle, Beltaine ou Samain. Le saint évangélisateur de l'île, saint Patrick, ne pouvant christianiser cet omphalos, l'a détruit.
Le Mabinogi de Lludd et Llevelys, enfin, raconte comment le roi Lludd, pour mettre fin à l'un des fléaux de l'île de Bretagne (un cri effrayant poussé par un dragon), doit mesurer l'île pour en trouver le centre exact. Après qu'il aura creusé un trou dans lequel il aura placé une cuve d'hydromel, apparaîtront deux dragons qui se battront jusqu'à l'épuisement. Il lui faudra alors les enfermer dans un coffre de pierre, à l'endroit le plus fort du royaume, afin qu'aucun envahisseur ne vienne dans l'île de Bretagne.

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:38
de Fergus
4. Conclusion

Je cite in extenso la conclusion de Françoise Le Roux :

Les études sur la fonction royale et la structure de la société celtique sont encore à leurs tout débuts. Mais les divergences ne semblent pas porter sur l'essentiel et les traits communs ressortent sans difficulté.

1. En Irlande une province centrale a été constituée par prélèvement d'une parcelle de territoire de chacune des quatre provinces primitives tandis que les textes historiques gardent le souvenir indiscutable d'une fédération gauloise dont le souverain était le maître de tous les Celtes continentaux. Mythique ou non le fait est là : le nom des Bituriges est suffisamment explicite et il faut en tenir compte.

2. La province ou la fédération centrale symbolise le milieu du pays, sinon le milieu du monde. Elle est elle-même l'omphalos et son propre centre est le lieu sacré par excellence. C'est l'endroit où l'on entre le mieux en communication avec les divinités, les puissances de l'autre monde et nous avons des traces, en Gaule et en Irlande, de temples lithiques ou de pierres qui ont pu matérialiser la conception de l'omphalos.

3. L'obligation de posséder un omphalos transcendant l'intégralité de la religion nationale ne nuit cependant en rien à la pluralité des lieux de culte : l'omphalos est à la fois unique et composite. Chacune des quatre parties de la province centrale d'Irlande contient un sanctuaire la rattachant à son ancienne province et c'est l'ensemble de ces sanctuaires qui forment l'omphalos proprement dit. Il est probable qu'une telle organisation a aussi prévalu en Gaule où le centre du pays est jalonné de sanctuaires de première importance. Chaque province enfin, chaque cité et chaque canton a possédé son ou ses sanctuaires, lesquels étaient compris, selon la définition de Loth déjà citée, comme des "commémorations du sanctuaire national".

4. Les localisations géographiques précises sont de peu d'importance et il est peut-être vain de les rechercher. Il suffit de savoir que la notion religieuse de centre et de "Roi du Monde" a reçu chez les Celtes une application pratique. C'est la faiblesse matérielle du souverain suprême, aussi bien en Irlande que, sans doute, en Gaule, qui a provoqué l'écroulement du système politique celtique.
Plus tard, et infiniment plus tangible dans l'histoire, avant celui d'Alesia (encore un autre sanctuaire) le désastre d'Avaricum, capitale des Bituriges, sonne lugubrement le glas de l'indépendance . De tous les évènements qui ont préparé lentement ce funeste épilogue, nous ne savons presque rien. Mais l'examen de la structure religieuse nous fait soupçonner les bouleversements au terme desquels les "rois du monde" ont été injustement dépouillés de leur royauté initiale. Malgré la parcimonie avec laquelle les informations nous ont été accordées par les auteurs anciens, les Bituriges se voient donc confirmés in perpetuo en tant que légitimes détenteurs de l'imperium celtique.

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 15:59
de Orgenomeskos
Merci encore Fergus pour cet énorme travail de rédaction et pour ces textes très riches en infos! :wink:

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 17:21
de Muskull
Il est peut être intéressant de noter qu'en ce qui concerne l'Irlande mythique, c'est la quatrième "invasion", celle des Fir Bolg qui a apporté la division en 5 provinces (et donc du centre) ainsi que le concept de royauté.
Ce qui symboliquement est parfaitement complémentaire.

Un court extrait d'un article de Gilbert Durand (E.U.) :
"On constate, spécialement dans le contexte indo-européen, que le symbolisme de la terre, dans ses deux polarisations fondamentales nocturne (ou dionysiaque) et diurne (ou apollinienne), récapitule pour ainsi dire – du berceau à la tombe, de l’enfer à la pierre, clef de voûte du temple, de la glèbe informe au diamant taillé – toute la tradition perceptive comme tout le champ des désirs et des rêveries de l’animal terrestre qu’est l’homo sapiens. La terre est notre mère primordiale, mais elle est aussi dans ses transformations, de l’agriculture aux industries métallurgiques, le fils du génie humain, le fils que toutes les mythologies donnent à l’homme par le mystérieux accouplement avec la mère. Cette polarité incestueusement sacrée et androgyne de la terre comporte une leçon éthique : c’est que la terre monopolisée par une seule de ses valences structurales se pervertit. Perversion que la régression à un état de nature, à un paradis terrestre qui ne veut pas tenir compte de la condition laborieuse – donc mortelle et souffrante – de l’homme ; la terre qui ne serait rêvée que par l’imagination nocturne ne serait qu’un paralysant retour à l’impossible mère. Mais perversion aussi que la rêverie conquérante qui ne veut pas tenir compte des impératifs originels de l’homme terrestre, qui angélise – ou divinise – directement le labeur humain, surenchérit sur les cadences constructives et débouche finalement, non pas sur le Temple mais sur l’orgueilleuse tour de Babel. La terre, dans son aspect irréductiblement ambivalent, nous donne cette leçon d’équilibre, cette « voie du milieu » – ou cette « chambre du milieu » – où se situe la véritable « sagesse » de l’espèce."

Cet omphalos s'exprime donc non seulement "horizontalement" dans les 4 directions de l'espace mais aussi "verticalement", du sombre au clair, du chtonien au lumineux, du subconscient au conscient en un regard de l'homme sur lui même en son travail de funambule entre ses "anges" et ses "démons".
Symboliquement, le "Roi" réalisant l'équilibre...
On peut aussi penser à "la prière de saint Patrick".

Un autre fragment de G. Durand :
"Aux rêveries de la fondation, de la construction s’allient tous les symbolismes si riches de la « pierre d’angle », de la « pierre vive » qui vont du symbole bétyle, ou de l’omphalos (cf. la pierre noire de Cybèle) au symbolisme amplifié que constitue le temple (beith-el, « maison de Dieu », temple, qui a donné bétyle) et la simple maison. Si la bonhomie bachelardienne n’a guère insisté sur la symbolique des constructeurs du temple, chère à la tradition maçonnique (cf. J. Boucher), elle inspire de bien véridiques pages – replacées certes au régime « nocturne » des rêveries du repos – sur la maison natale et la maison onirique (La Terre et les rêveries du repos, chap. IV). Temple, maison ou simplement « pierre cubique à pointes » de la franc-maçonnerie, toutes représentations ouvrières alliant, à l’élément rocher, les formes du cube ou du carré conjointes avec la coupole, la pointe ou le toit, symbolisent avec le microcosme du second Adam, de l’Adam restauré par le travail humain, où la ville célestielle – la Jérusalem céleste – remplace et amplifie le paradis terrestre primordial. C’est pour cette raison profonde que le temple, le palais impérial (ming tang des Chinois), l’humble maison chinoise ou dogon (cf. M. Griaule, Dieu d’eau), tout comme la pierre brute ou taillée (cf. article « Pierre » de M.-M. Davy et de M. Grison, in Dictionnaire des symboles), sont des symboles androgynes où le céleste vient vivifier, accomplir le purement terrestre. C’est bien là le sens profond de la pierre dans le contexte évangélique – et maçonnique – (cf. Psaume CXVIII ; Matthieu, XVI, 42 ; Luc, XX, 17) pour qui le Christ, nouvel Adam, est la pierre d’achèvement venue couronner l’édifice des prophètes. Le « travail » de l’homme sur la matière brute, de l’homme à l’œuvre, se trouve symbolisé par la pierre, aussi bien dans l’alchimie (la « pierre des sages », la « pierre philosophale ») que dans la geste du Saint-Graal et de sa « Queste ». Dans son contexte christianisé tout au moins, le Graal est en effet à la fois le Christ « résurrecteur », symbolisé par le plat de la Sainte Cène, la Coupe eucharistique, ou le récipient du Saint Sang, et la « pierre » : il est, taillé dans l’émeraude, la « pierre d’Hermès », ou bien tout simplement une pierre, à la fois rocher du fondement inébranlable, et clef de voûte qui couronne l’édifice spirituel."

Il semble donc que cette "idée" du centre soit un "immémorial" de la pensée humaine, qu'il ait été traduit par l'arbre, le mât, la massue, la lance, le coeur, etc... n'est qu'indicateur sur la culture des peuples qui l'utilise et aussi de l'évolution conceptuelle de l'homme vis à vis du "divin".

Merci Fergus de nous signaler cette "clé de voûte". :wink:

MessagePosté: Mar 28 Déc, 2004 17:51
de Fergus
Rien à redire, Muskull...
Ce qui est vrai pour la terre l'Irlande, ou de Gaule, l'est également pour l'homme. L'Art royal est bien la science de la maîtrise intérieure, de l'union des deux moitiés de l'être (les deux moitiés d'Irlande...).