V – Hypothèses sur l’Identité d’Arthur
Nous allons donc enfin rentrer dans le vif du sujet. Comme on l’a vu, on peut être certain de l’existence d’Arthur. Ce que l’on ne sait pas, c’est qui était il exactement, et est ce que la renommée du roi légendaire correspond aux exploits d’un seul homme ou de plusieurs. Difficile de le dire, ne serait ce que via le caractère totémique du nom Arthur.
Vous remarquerez sans doute que les hypothèses ne sont pas nécessairement incompatibles entre elles, à vous de juger lesquelles vous semblent les plus plausibles.
Dernière précision : cette liste est loin d’être exhaustive, tachez d’en tenir compte.
1) Roi de la Bretagne
Arthur, Haut-Roi de toute la Bretagne ? C’est certainement l’hypothèse la plus tentante car la plus fidèle aux légendes. On aurait donc un Arthur fils d’Uther et donc neveu et héritier de l’authentique Ambrosius Aurelianus tel que Geoffroy de Monmouth nous le représente. C’est d’ailleurs ici le principal problème : Monmouth écrit plus de 500 ans après les faits… Nennius ne nous présente pas Arthur comme l’héritier direct d’Emrys (Ambrosius) mais plus ou moins comme son général à Badon, même chose quand aux légendes galloises. Rien que la filiation avec Uther est peut-être à mettre sur le compte d’une mauvaise traduction : « Arthur mab Utr » ; Arthur fils d’Uther au lieu de Arthur, fils terrible (Utr signifiant terrible ou horrible). Si toutefois l’on se base sur cette hypothèse Arthur serait né en 458 ou 470, aurait remporté la victoire de Badon en 500 ou 516 et serait mort à Camlann en 537 ou 542.
2) Riothamus
L’historien brittanique John Ashe identifie lui Arthur à Riothamus, un général britto-romain passé en Gaule pour secourir les autorités romaines attaquées par les Wisigoths d’Euric. Il aurait été vaincu avant de refluer en Armorique où il se serait taillé un royaume, et aurait probablement été forcé à l’exil sur l’Ile où il aurait lutté contre les Saxons et les Pictes. Cette hypothèse situe Arthur 50 ans avant les faits.
Cependant Riothamus a bel et bien existé. Autre hypothèse : Riothamus (c’est en fait un titre plus qu’un nom, Riothime signifiant « Grand Roi » ce qui concorde à l’image d’Arthur) serait Uther ou Ambrosius, exilés provisoirement en Gaule pendant le règne de Vortigern.
3) Ambrosius
Toujours un peu dans la même optique, on peut identifier Arthur à Ambrosius Aurelianus lui-même. C’est en effet d’après St Gildas le vainqueur officiel de la bataille de Badon, même si Arthur est nommé à ses côtés par Nennius. La tradition galloise a fait d’Ambrosius Aurelianus Emrys Gwledig, titre signifiant lui aussi roi suprême. Ambrosius serait le fils de Constantin, lui même fils de Maximus qui usurpa le trône impérial vers 380 ; et donc un véritable défenseur de la romanité.
Les dates hypothétiques d’Ambrosius (403 ou 445 pour la naissance et mort en 530) laissent penser que plusieurs personnages auraient porté le nom d’Ambrosius. Et dans ce cas il est possible que le surnom de l’un d’eux fut Arthur, on peut identifier les autres à Uther et à Emrys. On revient donc plus ou moins à l’hypothèse fournie par la légende, mais on ne peut pas vraiment savoir quels étaient les liens entre ces différents personnages : frères, père et fils, ou simples successeurs…
4) Roi de Dommonée
La tradition veut que Arthur soit né à Tintagel, c’est à dire dans le royaume de Kernyw/Dommonnée. On a d’ailleurs retrouvé des ruines contemporaines de l’époque d’Arthur sur ce site, dont un tesson de céramique portant le mot « Artognov ».
Selon certains historiens, Arthur serait le petit fils d’un Constantin, mais celui ci ne serait pas le fils de Maximus mais Constantin Corneu, roi de Kernyw. Mais on connaît également 3 rois supposés de la Dommonnée et de la Kernyw à l’époque d’Arthur, sans vraiment pouvoir l’identifier à l’un d’eux.
5) Roi de Cumbria
Le clan Campbell fait remonter sa lignée jusqu’à un certain Arthur ic Uibar, que l’on pourrait identifier à Arthur fils d’Uther. Autre argument : de nombreuses batailles d’Arthur sont supposées avoir eues lieu dans le Nord, et la cour d’Arthur se serait situé à Carlisle. Cependant, personne n’a réellement pu identifier Arthur à un roi du Rheged.
6) Roi d’Ebrauc
Vers 450-500 un certain Arthwys ap Mor régnait sur le royaume d’Ebrauc (Yorkshire). On l’identifie à un roi relativement puissant, mais pas réellement à Arthur lui-même. Il reste très probable que certaines de ses victoires dans le Nord furent par la suite attribués à Arthur en personne.
7) Artorius
Lucius Artorius était le commandant des auxiliaires sarmates basés au Mur d’Hadrien au 2e siècle. Les Sarmates venaient des steppes et étaient réputés comme d’excellents cavaliers. Ce furent eux qui rendirent populaire le Dragon, c’est-à-dire une enseigne de cavalerie en forme de serpent faisant un vacarme effroyable avec le vent. Ils ont également laissé un curieux symbole sur le Mur d’Hadrien : leur emblème, une épée plantée dans une pierre… Il est tentant d’identifier Arthur à un descendant de ces Sarmates, perpétuant leur tradition.
Mais si on ne peut contester l’influence de ces guerriers sur les Bretons, il est bon de rappeler que l’on situe ordinairement la période Arthurienne comme comprise entre le 5e et le 7e siècle…
St Arthmael
Chris Barber et David Pykitt ont identifié Arthur au roi Arthwys de Gwent et Glywyssing comme le firent avant eux Blackett et Wilson. La tradition galloise fixe la principale forteresse d’Arthur à Kaerlon, et il se trouve que Kaerlon se trouve dans cette région du pays de Galles.
Après la bataille de Camlann, Arthur aurait abdiquer et serait partit en Armorique où il serait devenu St Arthmael, ce qui se rapporte quelque peu au mythe d’Avalon où Arthur part sur un navire après la bataille…
9) Gwenddoleu de Cumbrie
L’un des grands rois de la seconde moitié du 6e siècle était Gwenddoleu, roi du Rheged du Sud. C’est le contemporain d’Urien, de Rhydderc Hael et de Peredur, c’est d’ailleurs ce dernier qui vainquit Gwenddoleu lors de la bataille d’Arderryd (ou Arthuret). On peut envisager le passage du « Roi d’Arthuret » à « Roi Arthur ». Si c’est un élément assez faible pris isolément, il est à associer avec le fait que de nombreuses batailles d’Arthur sont supposées avoir eu lieu dans le Nord. Près de sa capitale supposée existe également un cercle de pierre que les Celtes ont longtemps utilisé, et une colline non loin porte le nom « Arthur Seat », on a donc une référence à la Table Ronde.
Son barde était le célèbre Myrddin qui devint le Merlin de la légende, lequel se réfugia à la cours de Rhydderc après la mort de son seigneur.
Enfin, Gwenddoleu fut vaincu par ce que l’on suppose être une coalition de seigneurs bretons rivaux (comme Peredur et Gwrgi d’Ebrauc), et l’on a émit l’hypothèse que des Gaëls d’Irlande avaient participé à cette bataille. Ce qui ressemble fort à la description de Camlann où le traître Mordred avait réuni les différents ennemis d’Arthur.
Principale objection à cette thèse : les dates. En effet les Annales Cambriae situent la bataille de Camlann en 537 et la bataille d’Arderydd en 572…
10) Owein, roi de Powys & Gwynned
Owein Ddantgwyn régnait sur le Powys & le Gwynned(province centrale du pays de Galles) vers 490-500 ce qui correspond plutôt bien à la période considérée comme arthurienne et faisait de lui un roi très puissant. D’après St Gildas, le surnom guerrier d’Owein était l’Ours, en celtique Arth. De plus, le père d’Owein, Enniaun Yrth (Yrth=Uther ?) était également connu sous le surnom de « Terrible Chef des Guerriers », ce que l’on peut traduire en celtique comme « Uthr Pendragon ». On identifie également Maelgwyn de Gwynned à Mordred, en tant que neveu d’Owein, il s’est accaparé une partie du royaume de ce dernier à sa mort. Sur les terres d’Owein existe également une vallée nommée Camlan.
11) Cynglas, roi de Rhos
Cynglas est donc le fils d’Owein, et est l’un des 5 tyrans que St Gildas cite dans De Excidio Brittanae, en tant que Cuneglasus. Selon certains historiens ce n’est pas son père qui portait le surnom d’Ours chez Gildas mais lui-même. Gildas parle de Cynglas comme d’un boucher sanguinaire, et Arthur est l’un des 3 rouges ravageurs de l’Ile de Bretagne dans les triades galloises. Gildas dit que Cynglas a répudié sa femme pour s’emparer de la sœur de celle-ci, épisode que l’on peut rapprocher de celui de la « fausse Guenièvre » dans le mythe arthurien.
On cite également un certain Caradoc Vreichvras, connu dans le Mabinogion comme le premier cousin d’Arthur. Or il semble que l’un des cousins de Cynglas se fut nommé ainsi.
Quand à expliquer la haine que voue Gildas à Cynglas, elle est sans doute due à une rivalité séculaire entre la famille de Gildas et les seigneurs du Powys. On sait que Geoffroy de Monmouth et d’autres auteurs médiévaux se sont inspirés du travail de Gildas, et on envisage même la possibilité que ce dernier a pu écrire un autre ouvrage auquel ces auteurs ont eu accès mais qui ne nous est malheureusement pas parvenu.
Gildas parle aussi le concernant d’une « forteresse de l’Ours », ou Din Arth.
A consulter concernant Cuneglasus les travaux de Chris Stewart et de Mark Devere Davis.
12) Arthwyr, roi de Dyffed
Arthwyr, roi du Dyffed est né vers 585, et était le fils du roi Pedr ap Cyngar. On ne connaît que peu de choses à son sujet, et il est probable que son père le baptisa ainsi pour rendre honneur au grand guerrier.
13) Athrwyr de Gwent
Fils du roi Meurig de Gwent, Athrwys a vécu dans la première moitié du 7e siècle. Il est par la suite devenu roi d’Ergyng. Il est probable qu’il a contribué au mythe arthurien et que de nombreux récits gallois se rapportent à lui. Il est associé à Caerlon-sur-Wysg, capitale d’Arthur que ce soit dans les légendes primitives ou les romans.
14) Prince d’Elmet
Arthwys, fils du roi Mascuid Gloff d’Elmet, né en 479 est un contemporain de l’époque arthurienne et il est probable que ses exploits ont put contribué à la légende.
15) Artur mac Aedan
Dans son étude Arturius, a quest for Camelot David F. Caroll met en avant l’hypothèse selon laquelle Arthur serait le fils d’Aedan mac Gabrain, roi des Scots de Dal Riada (Irlandais implantés dans l’Est de l’Ecosse qui s’unirent plus tard aux Pictes, aux Bretons de Strathclyde et aux Northumbrians du Lothian pour former l’Ecosse).
Cet hypothèse que l’on peut trouver déroutante tout d’abord n’en demeure pas moins très intéressante. Malgré qu’ils soient Scots, Aedan et ses fils n’en demeurent pas moins des fidèles soutiens des royaumes bretons du Nord, notamment de Rhydderc de Strathclyde et d’Urien Rheged contre les Pictes et les Saxons. Artur est mort lors de la bataille de Manaan, contre la tribu picte des Miathi, d’après Caroll cette bataille aurait été également nommée Camallan par les Bretons. Il suppose également que le chef des Pictes était Medraut, fils de Lot roi des Pictes. Or Lot était le roi du Goddodin (royaume également nommé Manaan) et donc un roi breton, et le haut-roi des Pictes à cette époque était Brude mac Maelchon.
Il rapporte également l’existence d’une forteresse britto-romaine nommée Ad Vallum et qui serait devenue Camelot.
Enfin Artur mac Aedan avait une sœur nommée Morgan, et a certainement eu des liens avec Myrddin.